✔2... Bouleversées.

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La file d'attente à l'entrée du Razzerz s'avérant interminable, je restais adossée au mur à observer la foule, principalement des femmes habillées d'une robe ou d'un short.

Avec mes expériences passées, j'aurais dû me méfier de ce genre d'endroit, mais j'avais fini par passer outre, doutant sincèrement de retomber sur un certain Italien. Même si, parfois, il me semblait apercevoir son fantôme au détour d'une rue. C'était comme si je me tenais pour responsable de sa mort... Ce qui est sûr, c'est que j'étais bel et bien responsable de celle de William...

Merde, il faut vraiment que j'arrête de penser à tout ça.

— Tu m'expliques comment tu comptes danser avec ton gros sac à dos ? se moqua Stéphane, m'extirpant de mes songes.

— Ne me sous-estime pas, jeune effronté, répondis-je fièrement en croisant les bras.

Porter un sac sur le dos ne me dérangeait jamais pour m'amuser, même s'il s'avérait parfois encombrant lorsque la foule se bousculait. Justine s'appuya sur mon épaule et son haleine alcoolisée ne m'échappa pas.

— Dis, Mad, tu ne m'accueillerais pas chaleureusement chez toi, ce soir ?

— Bien sûr, si tu veux.

Elle m'enlaça tendrement en me remerciant.

— On terminera la soirée en beauté comme ça, murmura-t-elle en sortant discrètement de sa poche un pochon d'herbe.

— Non merci, tu n'arriveras jamais à me convertir.

— Ne jamais dire jamais, trésor.

Un frisson me traversa l'échine à l'entente de ce dernier mot, simple, mais dont la signification était bien particulière. Évidemment, Justine ne savait rien, comme tous ceux qui m'entouraient, la version officielle étant que je n'avais jamais vu mon « agresseur ». J'avais été tentée plus d'une fois de raconter la vérité à mes parents, à Ju, mais les paroles restaient bloquées au fond de ma gorge... Comment pourraient-ils comprendre ?

« Une dernière chose, mademoiselle O'Dea. Je ne pense pas que ça soit utile de le préciser, mais au cas où : une fois libre, doutez-vous bien qu'il ne faudra en aucun cas parler à qui que ce soit de ce dont vous aurez été témoin ces derniers mois. Sinon, je viendrai vous liquider en personne. Sommes-nous d'accord ? »

J'avais pris les paroles de Bran au pied de la lettre. J'ignorais s'ils m'observaient ou non. Quoi qu'il en fût, je tenais à ma vie, et c'était une raison de plus pour me terrer dans le silence.

Bientôt vingt-deux heures quand nous entrâmes enfin dans la boite de nuit. La musique électro battait son plein et, le temps d'arriver jusqu'à un coin moins encombré, je dus me faire bousculer au moins trois ou quatre fois. Le DJ enflammait la piste. Tous les sièges et toutes les tables étaient occupés. Roxane regrettait déjà d'être venue. Pour ma part, je me laissai entrainer au milieu de la salle avec Justine et Antony, tout en restant prudente avec ce dernier, parfois très pot de colle, pour ne pas dire insistant.

Je croisai plusieurs regards peu lucides ne me rassurant pas, mais je les oubliai vite. Face au MC qui changeait ses vinyles, je fermai les yeux, un sourire béat creusant mes pommettes. Les muscles de mon corps se relâchèrent. Je pris plaisir à laisser la musique m'envahir, le monde ondulant dans un rythme uniforme. Le son nous transcendait le temps d'une nuit qu'il fallait savourer jusqu'à la prochaine.

Étrangement, après ces deux années, je me sentais traquée par les mêmes spectres. Parfois, parmi la foule, j'entrevoyais une tête blonde qui ressemblait à Domenico Del Baso. Son visage me hantait toujours, plus précisément ses yeux éteints et son sang incrusté dans le sol... Si seulement il n'y avait que lui. Souvent, je redécouvrais Evy en rêve, ses doigts serrés autour de la ficelle pour mieux étrangler cet homme, ou encore Alphonse Gilliard, mort d'une balle en pleine tête, une nuit au port. Il y avait aussi son fils, Peter, dont j'avais gardé un petit souvenir en plein abdomen. L'odeur nauséabonde du cadavre de Lincoln me coupait parfois l'appétit sans raison. Et, enfin, William... William que j'avais tué... Il ne se passait pas une semaine, pas un jour sans que je pense à mon acte. J'entendais encore les détonations répétitives, je ressentais encore la contraction de mes muscles, le vide profond m'envahir. Même si tout avait changé, mes hantises demeuraient. Voilà ce qui troublait encore mes nuits, au quotidien. On a beau se convaincre que ça passera, ce n'est pas le cas. Et je savais que je resterais habitée par mes démons jusqu'à la fin.

Until I Found You T2 [Sous Contrat D'édition]Opowieści tętniące życiem. Odkryj je teraz