Une ado rebelle, dit-on

61 12 17
                                    

** J'ai mis une musique en plus, pour accompagner votre lecture

Oops! This image does not follow our content guidelines. To continue publishing, please remove it or upload a different image.

** J'ai mis une musique en plus, pour accompagner votre lecture. C'est l'instrumentale, parce que j'avais peur que les paroles se confondent avec mes mots. (et le texte de la chanson n'a pas vraiment de rapport avec ce chapitre) **

La vielle dame peinait à tirer son caddie, et semblait mépriser ceux qui croisaient son regard. Elle fronça donc les sourcils quand elle m'aperçut à ma fenêtre, décortiquant chacun de ses faits et gestes. Peut-être avait-elle tout comme moi, la haine des autres ? Mais à sa façon de marcher, je pense qu'elle ressentait plutôt une lassitude infinie vis-à-vis de la vie et des Hommes : « Tous les mêmes. », se disait-elle sans doute.
Avant d'atteindre les soixante ans, elle avait dû être constamment dans une routine exaspérante et pathétique. Travailler, manger et dormir : voilà à quoi devait ressembler sa vie. La retraite lui semblait donc être magnifique et reposante : aucune contrainte, aucune pression : la liberté à l'état pur. Mais une fois libérée de son travail de forçât, elle s'était vite rendue compte qu'elle n'était pas entièrement libre : sa survie se reposait sur les autres ; elle ne pourrait pas s'en sortir seule. Ce constat, pour une femme aussi indépendante qu'elle, avait dû la briser.

Pourquoi fallait-il toujours que je m'imagine la vie des autres ? Quel malin plaisir trouvais-je dans ce loisir psychopathe ? Parce qu'on peut se le dire, il faut être un peu dérangé dans sa tête pour analyser à longueur de journée tous ceux qui ne font que marcher dans ma rue. Le pire, c'est que je ne fais que ça depuis quelques jours, et ce dès les premiers rayons du soleil à l'extinction des feux : analyser tout le monde, depuis la fenêtre de ma chambre, l'air frais dans les narines. C'est un peu étrange d'ailleurs, que j'apprécie cette occupation pour le moins répétitive, moi qui n'aime pas la routine.

Mais je ne sais pas pourquoi, j'aime ça. J'aime me trouver des amis imaginaires ou au contraire mépriser les passants. « Pourquoi joue-t-il au loto ? Est-il assez idiot pour croire qu'il peut gagner ne serait-ce qu'un euro ? » pensai-je hier, en voyant ce vieux monsieur à qui il manquait la moitié de ses cheveux, aller au bar PMU d'en face. « Qu'il investisse dans des soins capillaires plutôt ! ». Et le plus souvent, c'est effectivement du mépris. Il est rare, je dirais même très rare que je me sente proche de quelqu'un.

Peut-être parce que je suis unique ? Cette réflexion me fit sourire. Je crois que j'ai toujours voulu être différente des autres. Aimer certains voudrait dire que je partage des similitudes avec eux ; or je chéris la différence. Je crois même que le plus beau compliment qu'on puisse me faire est « Tu es unique ». Mais la société nous pousse à être tous les mêmes. Et d'ailleurs, je me demande souvent pourquoi je ne hais pas ceux qui me ressemblent ? Pourquoi je n'ai pas détesté cette petite mamie qui faisait écho à mon caractère ? Sans doute parce que cela reviendrait à dire que je ne m'aime pas. Donc on aime ceux qui sont comme nous, car on ne va quand même pas haïr notre propre personne ! Et ainsi on persécute ceux qui sont différents, tout comme je l'ai fait intérieurement en jugeant la calvitie de ce vieux monsieur.

Il n'avait rien demandé. Il se contentait de vivre sa vie, lui. Il ne restait pas à sa fenêtre à ne rien faire, il essayait des choses. « Je ne gagnerai sûrement pas... Mais tant pis, je préfère tenter qu'avoir le regret de ne pas avoir essayé. En compensation, je donnerai une pièce au SDF d'à côté, c'est la moindre des choses. ». Voilà ce qu'il pensait sûrement. Et moi, pour la simple raison que j'étais jalouse, je cherchais ses défauts.

Conclusion de l'histoire : l'Homme a un égo surdimensionné, car il s'aime. Ou comme moi, ne veut pas admettre qu'il ne s'aime pas.

Mais en même temps, si...

- Méli, on maaaaange !

La voix criarde de ma mère me coupa net dans mes pensées, et me rappela la routine dans laquelle j'étais bloquée : manger et dormir. Certains me demandent parfois pourquoi je me plains, alors que je peux faire une infinité de choses. Etonnamment, je n'ai pas la réponse... Je crois que cette infinité me fait peur à vrai dire, et rien dans toutes ces possibilités ne me convient, si ce n'est inventer la vie des passants...

- Tu m'as entendue ? questionna ma mère seulement quelques secondes après m'avoir appelée.

Je grommelai un semblant de « oui » en me dépêchant de sortir de ma chambre ; je n'avais pas envie que mes oreilles se brisent définitivement au son de sa voix. Je rejoignis ensuite le salon où m'attendait ma mère, assise autour de la table aussi vieille qu'elle. En réalité, je n'avais pas vraiment rejoint le salon car ma chambre donnait directement sur celui-ci, mais bon, ma mère aurait dit que je chipote. Et que je suis chiante. Parce que oui, il n'y a pas un jour où je ne le suis pas.

- Alors, tu as fait quoi de beau ce matin ? me demanda-t-elle tandis que je me servais des pâtes. Des spaghettis plus précisément.

- J'ai dormi, lui répondis-je machinalement, estimant que cette réponse ne m'attirera pas d'autres questions.

- Hum, c'est donc pour ça que la lumière était allumée, répliqua-t-elle d'un ton plus sévère.

- J'ai pas le droit de dormir avec la lumière ?

- Si si, j'avais juste oublié que tu utilisais encore une veilleuse, répondit-elle d'un ton moqueur. Tu es donc un gros bébé. En même temps ça ne change pas de d'habitude.

Oh elle m'énervait celle-là ! Ne pouvait-elle donc pas garder ses commentaires dans sa grande gueule ? Il fallait toujours qu'elle critique tout, c'est fou.

- Et toi tu es insupportable, comme toujours. Voilà ça nous fait un point commun : on est fidèle à nous-même, rétorquai-je.

- Haha, que tu es drôle, répondit-elle avec ce faux sourire qui en dit long. Bon, tu faisais quoi sérieusement ?

- Je dormais, grommelai-je.

- Qu'est-ce que tu ne comprends pas dans « sérieusement » ?

- Tout.

- Merci pour cette réponse particulièrement développée.

- De rien.

- Tu ne veux donc pas me dire ? insista-t-elle d'un ton plus sérieux.

- Non, car tu me donneras ton avis et je n'en ai pas besoin.

Elle ne répondit rien, fort heureusement pour moi. Je pus enfin manger mes pâtes tranquillement. Quelle chance ! Je crois qu'une des choses que j'apprécie le plus est le silence ; j'ai sans doute besoin de pouvoir exprimer mes nombreuses pensées sans être interrom...

- Dans ce cas tu accepteras sûrement celui d'un psy.

Quoi ?! Je levai la tête de mon assiette pour la première fois depuis le début du repas.

- Pardon ? demandai-je, peu certaine de ce que je venais d'entendre.

- Oui, un psy, tu as bien entendu. Il t'apprendra peut-être l'amabilité, et te permettra de te comporter de façon plus... normale.

- Tout ça parce que je ne t'ai pas dit ce que j'ai fait ce matin ? T'es tarée toi. J'ai regardé les gens passer dans la rue à ma fenêtre, je n'ai rien fait de mal ! T'es contente ? T'as eu ce que tu voulais ?

- Oui, merci, répondit-elle tout sourire. Le rendez-vous chez le psy reste donc une bonne idée.

- Quoi ? Mais qu'est-ce que tu racontes ?

- Et toi, qu'est-ce que tu fais ? Pourquoi tu passes tes journées à regarder les gens à la fenêtre ? Des fois je me demande si je n'ai pas fait naître un OVNI. Je ne sais pas moi, va faire du shopping, va faire du sport, dessine, écris... tu peux me demander de t'acheter des choses si tu veux ! Mais arrête de vivre dans ta grotte bon sang !

- Mais en quoi c'est mal ce que je fais ? Je m'occupe tranquillement, sans déranger personne. En quoi ce serait un problème ?

- T'en fais exprès Mélina ou quoi ? Le problème c'est que tu n'es pas sociable est trop différente des autres. Tu iras donc voir un psy, parce que j'en ai marre de vivre avec quelqu'un comme toi. Et c'est non négociable.

Tous les mêmesWhere stories live. Discover now