Psychologue d'un jour

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Je triais la paperasse qui trainait sur mon bureau, essayant de retrouver mon planning de la journée, l'ordinateur étant en panne

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Je triais la paperasse qui trainait sur mon bureau, essayant de retrouver mon planning de la journée, l'ordinateur étant en panne... Où peut-il bien être ? Alors que je balayais du regard la pièce, mon regard se posa sur mon diplôme, accroché sur le mur d'en face : « Le diplôme de psychologue, en spécialisation adolescence et petite enfance, est conféré à Mélina Leroux. » Lire cette phrase me procurait à la fois un sentiment de fierté, mais également un sentiment d'amertume : réaliser que j'allais passer le restant de ma vie enfermée dans ce cabinet, et ce jusqu'à ma retraite, avait toujours raison de moi...

Mais ce n'est pas le métier qui me pose un problème ; au contraire, je ne sais même pas s'il en existe un qui puisse mieux me convenir. Ce qui m'attriste, c'est ce sentiment d'être bloquée malgré moi, d'autant plus que c'est ma mère qui avait jugé que ce travail serait bien pour moi. Elle m'avait dit « Regarde comme ton rendez-vous t'a changée, je suis sûre que tu serais heureuse de rendre la pareille aux autres ! ». Et je l'ai écoutée, parce que c'était mon seul repère de vie.

Après quelques minutes de recherche, je mis enfin la main sur mon planning : « 16h : Mélodie Letez ». Ah oui, j'ai reçu le formulaire par mail hier : c'est la gamine qui reste toute la journée dans son lit.

J'arrivais donc avec un quart d'heure de retard dans la salle d'attente où patientaient une dizaine de personnes, mon papier à la main, et prononça le prénom de la jeune fille. Je vis à cet instant une tête brune se lever au fond de la salle, qui regardait ses pieds, comme s'ils étaient la plus belle chose qu'elle n'ait jamais vue. Une femme, sûrement sa mère, était sur ses talons, avec un grand sourire : celui d'un enfant qui ouvre ses cadeaux de Noël. J'attendis qu'elles me rejoignent puis les saluai, et m'adressai à la plus âgée des deux.

- Excusez moi Madame, mais comme indiqué dans la salle d'attente, je ne prends avec moi que les enfants.

- Même au premier rendez-vous ? Il faut bien que je vous explique son problème !

- Et bien vous avez rempli un formulaire, donc cela suffira, répondis-je un peu agacée.

- Bon d'accord, je ne pense pas que ce soit la bonne méthode, mais je vous la laisse. A tout à l'heure Méli.

Cette dame me rappelait ma mère : c'était son portrait craché. Toujours à penser qu'elle sait tout mieux que tout le monde, même quand elle n'est pas qualifiée dans le domaine.

J'accompagnai la jeune fille dans ma petite salle aux murs jaunes, et l'invitai à s'asseoir devant moi.

- Je suis donc Mélina Leroux, une psychologue, et je suis ici dans le but de t'aider à mieux vivre ton adolescence, et tout ce qui l'accompagne. Tu es donc Mélodie Letez, c'est bien ça ?

- Oui, répondit-elle machinalement, les yeux rivés sur la table.

- Bien... Sais-tu pourquoi tu es ici ?

- Oui.

- Et pourrais-tu me dire pourquoi ? tentai-je avec un sourire qui se voulait accueillant.

- C'est pas écrit sur le formulaire ?

- Oh... Si, si, c'est écrit. Mais c'est la version de ta maman. J'aimerais bien avoir la tienne.

- Bah c'est ma mère qui a voulu que je vienne, donc faut lire ce qu'elle a écrit.

- Et elle ne te l'a pas dit ?

- Si. Enfin elle m'a juste dit que j'étais trop différente. Et selon elle c'est un défaut.

Enfin une réponse plus développée ! Je souris au son de ses propos, me voyant plus jeune, solitaire et bornée.

- Et... en quoi elle te trouve différente ?

- Je ne fais pas ce que les autres font.

- Ah, d'accord. Et que fais-tu donc ?

- Rien.

- Rien ? Tu fais forcément quelque chose, non ?

- Oui je mange. Et je dors aussi.

- Et le reste du temps ?

- Rien.

La discussion continua ainsi pendant quelques longues minutes, pendant lesquelles j'essayais de trouver les bons mots. Mais rien n'y faisait. Au bout d'un moment, elle finit tout de même, sans doute par lassitude, par tout me raconter, en relevant la tête pour la première fois depuis le début du rendez-vous. Elle devrait d'ailleurs regarder les gens plus souvent, car ses yeux bleus sont magnifiques.

- Bon... Moins je passerai de temps ici, mieux je me porterai. Donc c'est faux, je ne fais pas rien : je pense. Mais les gens disent que penser c'est rien, donc je simplifie l'acte à sa normalité, comme tout le monde. Je disais donc... Oui, je pense, je réfléchis, j'imagine... Parfois je prédis mon futur, parfois je m'interroge sur le passé. La seule différence avec les autres, c'est qu'à part à l'école où je fais semblant d'écouter, penser est ma seule et unique occupation. Et ça ne plait pas à ma mère. Elle veut que je sois comme tout le monde. Elle hait la différence. Tout le monde hait la différence.

Oh... Je ne savais que répondre à toutes ces révélations. C'est précisément le problème que j'avais à son âge : le seul moyen de fuir de chez moi était la pensée et l'imagination, car la vraie fuite que j'enviais en cachette me faisait trop peur. Mais je pense que ce renfermement et cette solitude que j'avais était empoisonnée... tôt ou tard, si je n'avais pas eu de psychologue, j'aurais fini au fin fond de l'obscurité. Du moins c'est ce qu'on m'a laissé imaginer. Et j'en avais peur. Terriblement peur. Alors ma voix intérieure guida mes paroles :

- Je crois comprendre assez bien ce que tu vis. Mais parfois, il faut faire confiance aux adultes. Ta maman, a sans doute tort sur certains points : ta pseudo différence n'est en aucun cas un problème. Mais je pense qu'elle a juste du mal à exprimer ce qu'elle ressent. Elle veut simplement te protéger du futur, et elle a peur que ton isolement te cause davantage de problèmes. Comment comptes-tu faire plus tard ? Tu devras avoir un salaire pour vivre. On ne se préoccupe jamais du lendemain, mais il faut penser à l'avenir. Chacun de nos choix a un impact sur le futur, à moins qu'on ne décide de l'effacer. Encore faut-il le pouvoir. Mais toi, tu peux mettre ta solitude à la poubelle, et écouter en cours, avoir des bonnes notes, te faire des amis... Au début, tu regretteras probablement tes journées où tu ne faisais que penser dans ton lit ; mais au bout de quelques mois, tu adoreras ta nouvelle vie ! Et tu pourras toujours garder tes moments de réflexion ! Mais ne gâche pas ton futur... Ce serait une grosse erreur...

Une larme coula sur la joue de Mélodie. L'avenir lui faisait peur. Et elle n'avait pas envie de changer pour les autres. Mais si c'était son unique moyen de survie ? 

Je la pris dans mes bras et tentai de la rassurer. J'entendis son essouflement contre ma poitrine. Elle était perdue. Complétement perdue. Une fois calmée, je lui dis au revoir, avec un grand sourire :

- Allez, file, ça va aller. La secrétaire va fixer un rendez-vous pour dans un mois, d'accord ? Comme ça je te laisse le temps de réfléchir et je ne t'embête pas trop.

- Merci beaucoup, répondit-elle avec un sourire timide.

- De rien ma belle, prends soin de toi. Ah et tiens, je te mets dans ta poche un numéro auquel tu peux envoyer un message en cas de problème. Précise ton nom et je te répondrai, dis-je avec un clin d'œil.

Elle m'adressa un sourire puis rejoignit sa mère en salle d'attente. Mon sourire à moi, en revanche s'effaça... Je venais de réaliser que ce n'était pas ma voix intérieure qui m'avait dicté mes paroles : c'était ce que l'on m'avait dit et appris...

Tous les mêmesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant