06 : à propos de cette fille

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[05 septembre]

Il devait être dix-neuf heures quinze lorsque que je m'occupais de ranger les boîtes de conserves sur les étagères. Quelques néons blancs de la supérette grésillaient et reflétaient sur le carrelage ciré. À cette heure-ci, le bâtiment est généralement calme ; les habitués terminent leurs courses de dernière minute et d'autres passent en coup de vent. Cependant, je ne m'attendais pas à ce qu'un duo de garçons déchaînés de mon âge débarque en criant et en se poussant dès leur entrée. Ils ont tourné dans un des rayons voisins aux miens, ce qui m'empêcha de voir de qui il s'agissait, bien qu'une des deux voix me fut familière. Celui-ci commença :

Sinon, à propos de cette fille ...
C'est vrai ! Alors, tu vas avoir une meuf ?
_ J'aimerais bien, elle est super belle mais je crois qu'elle m'aime pas, soupirait-il. 
_ Mais tu lui as parlé, au moins ?
_ Évidemment ! Mais on dirait qu'elle veut sortir avec mon nouveau pote.
_ M*rde. Fais en sorte que vous vous rapprochiez, peut-être ?
_ Crois-moi, j'ai essayé. 

Un instant silencieux fila alors que je collais presque mon oreille aux rayons pour écouter leur conversation. 

_ Elle a Instagram ? Montre ! ... Pas mal du tout, elle est mignonne.
Tu déconnes ? Elle est bien plus que ça !
_ Tu devrais lui envoyer un message ce soir ou ce weekend.
_ Elle ne me calcule même pas au lycée.
_ Arrête d'être si pessimiste et essaie quand même ! Si elle te lâche un "vu", passe à autre chose.

Leur conversation me faisait sourire et penser à quelqu'un qui me ressemble étrangement. Et ayant terminé ma petite tâche au rayon conserves, j'allais pouvoir apercevoir qui était tombé amoureux.

_ Mec, j'ai plus une thune pour la soirée. On va ramener quoi ?
Laisse-moi faire, j'ai une idée, proposa en chuchotant celui que je pensais connaître.
_ Grouille-toi.

Malheureusement pour lui, je suis passée au moment où cet imbécile tentait d'enfourner deux paquets de sucreries dans ses poches de veste. 

_ LIAM ?! me suis-je écriée. 

J'aurais dû m'en douter plus tôt. En entendant son prénom, ses mouvements prirent fin, puis il leva la tête vers moi avec précaution. J'ai repris en le fixant, les joues rouges de colère :

_ Je te conseille fortement de reposer ce que tu as l'intention de voler.
_ A-Angeline ! Salut, je ... enfin ...
_ Liam, je ne me répéterai pas.

C'est alors qu'il s'exécuta sans plus un mot. J'étais plutôt fière de mon autorité bien que je sois totalement en rage. Un murmure de son ami me parvint aux oreilles : « c'est elle dont tu m'as parlé, non ? »,, avant de les voir changer de rayon. L'adolescent le moins honteux me fit un signe de la main et un sourire en se retournant.

Un peu plus tard, les deux complices avaient repris leurs rires bruyants à travers le magasin. Je songeais à la conversation qu'ils avaient eue plus tôt, et tout s'éclairait. Liam me trouve jolie. On ne pouvait nier qu'il soit beau lui aussi (mais pas plus qu'Evan), vraiment charmant mais seulement sur une photo. Il m'agaçait véritablement, et il avait de quoi. Soudainement, je les ai vus avancer vers la caisse où je me tenais pour scanner leurs articles - ils étaient les seuls et derniers clients à cette heure. Liam s'approchait à petits pas, hésitant sur ce qu'il allait dire. J'ai commencé froidement mais toujours en tant qu'hôtesse de caisse polie. 

_ Bonsoir.
Salut, Angeline. Alors comme ça, tu travailles ici ?
_ Tu vois bien que oui.

Le fait qu'il revienne me parler comme s'il ne s'était rien passé me donnait encore plus envie de le détester. Je m'occupais de passer son paquet de chips et sa bouteille de soda sans lui lancer le moindre regard. Lui, en jeta un vers son ami qui lui re epondit par un coup de coude.

Et sinon, tu fais quelque chose ce soir ?
Je rentre chez moi. Ça fera un euro vingt-cinq.
_ On va à une soirée tout à l'heure, avançait-il en sortant quelques pièces de sa poche arrière de jean. Tu veux venir avec moi — euh nous, quand tu auras fini le boulot ?
_ Sans façon, merci, ai-je répondu en lui offrant son ticket de caisse. 
T'es sûre ? Ça ne nous dérange pas d'attendre ! Et puis, on est vendredi soir ...

J'étais à deux doigts de perdre mon sang froid, mais j'ai tout de même fini par le regarder. 

_ Merci mais non merci, d'accord ? J'ai pas envie de passer plus de temps avec toi ; c'est déjà bien suffisant au lycée. 
_ C'est pas grave. On se verra lundi alors ! Bon weekend !
_ Au revoir. Et arrête d'aller voir mon profil Instagram tout le temps !

only fools fall for youOù les histoires vivent. Découvrez maintenant