Chapitre 16

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Il commença à pleuvoir dès la sortie de Périgueux. Ce temps maussade était à l'image de son humeur, se disait Caren en regardant le ballet monotone des essuie-glaces sur le pare-brise. Elle observa son chauffeur à la dérobée. Caren le sentait nerveux. Fabrice fixait presque aussi souvent le rétroviseur que la route devant lui. Peut-être pensait-il que cette escapade avec l'épouse de Lucas Dufresnes n'était tout compte fait pas très sage. Ce qui faciliterait la suite à Caren : il réagirait moins mal quand elle lui signifierait qu'il n'y avait pas place pour lui dans sa vie, même temporairement. Car Caren en avait la certitude : jamais elle ne tomberait amoureuse de Fabrice. Son cœur appartenait à Lucas et lui appartiendrait toujours. Et cela, même s'il la rejetait.

Son départ de Paris s'était passé sans anicroche. Fabrice avait déployé une remarquable efficacité. Pendant qu'elle courait ici et là acheter le matériel de peinture dont elle aurait besoin, il avait téléphoné de sa part à Mme Béthune à Montascaux afin de louer « la maison dans les nuages ». La propriétaire avait aussitôt accepté.

Caren ne s'était occupée que de préparer ses affaires. Elle n'emportait pas grand-chose, un simple sac de voyage contenant jeans, T-shirts, un ou deux pulls chauds, des chaussuresde tennis et son nécessaire de toilette. De ce qui venait de son trousseau, elle n'avait rien pris, ni linge ni bijou. Elle avait laissé tout cela dans sa chambre, bien en vue, et posé sur la table de chevet une lettre succincte informant Lucas qu'elle partait avec un autre homme, et qu'il était inutile de se mettre à sa recherche. 

Néanmoins, Caren n'avait pas eu le cœur de se séparer de son alliance. Une faiblesse stupide peut-être, mais elle voulait conserver quelque chose de Lucas, un souvenir qui l'accompagnerait dans sa future vie...

Plus prosaïquement, elle avait retiré de son compte en banque de quoi vivre pendant deux mois. Sans faire de folies ! Par la suite, elle comptait bien subvenir elle-même à ses besoins. La Dordogne attirait en toute saison de nombreux touristes amateurs de peintures. Elle pourrait trouver là un débouché à ses tableaux. Quitter incognito l'appartement s'était révélé d'une simplicité enfantine. Et pour cause... Lucas, une fois de plus, n'avait pas dormi chez lui. Pour se consoler de sa tristesse, Caren s'était dit qu'elle devait au contraire se réjouir de cette aubaine.

Le risque que Fabrice se montre entreprenant durant le voyage l'avait un peu inquiétée. Bien à tort. Il était étonnamment effacé, distrait même. A l'évidence, il se préoccupait davantage d'être suivi que de jouer les amoureux ! A la fin, irritée par ces incessants coups d'œil dans le rétroviseur, Caren tenta de le rassurer :

— Que craignez-vous, Fabrice? Si Lucas devait me chercher,

il s'orienterait plutôt vers l'Angleterre.

— On ne peut jurer de rien.

Méfiant, Fabrice ressemblait bien peu au jeune homme avenant qui lui offrait le café à la sortie de ses cours. Si cela devait durer ainsi...

Dieu merci, au train où ils allaient, ils atteindraient Montascaux avant la nuit. Mme Béthune avait promis de leur laisser de quoi se sustenter. Fabrice pourrait apporter la preuve de ses talents de chef en leur concoctant un petit repas. Si tant est qu'il parvienne à se calmer... Enfin, ils arrivèrent. Dans le souvenir de Caren, Montascaux était toujours inondé de soleil, tel que l'avait peint son père. Quelle drôle d'impression ce fut de le découvrir sous la pluie, noyé de brume, et presque sans un habitant dans les rues.

Une fois le pont franchi, la voiture s'engagea sur la route sinueuse et escarpée qui grimpait au sommet du village. Le cœur de Caren battit plus vite lorsqu'elle aperçut la maison familière. Comme si c'était sa maison, qu'elle arrivait là chez elle.

De construction simple et harmonieuse, elle était coiffée d'un toit de tuiles pentu, typique de la région, et flanquée d'un pigeonnier. C'était là, au niveau supérieur de ce pigeonnier, que Gary avait installé son atelier. Fabrice s'arrêta dans la cour.

— Restez là, ordonna-t-il. Je rentre les bagages. Deux voyages furent nécessaires. Après quoi, il revint avec un parapluie.

— Tenez, allez-vous mettre à l'abri. Je vais garer la voiture dans la grange, derrière la maison.

Dehors, la pluie avait redoublé de vigueur. La jeune femme franchit en courant la vingtaine de mètres qui la séparait de l'entrée. La porte ouvrait directement sur la salle de séjour, l'unique pièce du rez-de-chaussée. On y avait allumé la cuisinière. D'une cocotte posée dessus s'exhalait une appétissante odeur qui lui mit l'eau à la bouche. Adorable Mme Béthune. Elle leur avait cuisiné sa spécialité, un cassoulet !

Caren regarda autour d'elle avec un soupir de contentement. Rien n'avait changé. C'était toujours la même vaisselle de faïence bleue et blanche sur le vieux buffet, la même toile cirée sur la table...Saisissant son sac de voyage, elle s'engagea dans l'étroit escalier de bois qui montait à l'étage. Deux chambres et une minuscule salle de bains y étaient aménagées sous le toit en mansarde. Caren poussa la porte de la plus grande. Le lit était prêt. Attentive au moindre détail, Mme Béthune avait même ajouté un bel édredon. La jeune femme contempla ce lit ancien avec un serrement de cœur. Il était bien trop grand pour une seule personne...

Après s'être débarrassée de son sac, elle sortit vérifier la seconde chambre. Surprise ! Le lit ici n'était pas fait. Pourtant, elle avait clairement demandé à Fabrice qu'il fasse préparer les deux chambres par Mme Béthune. Erreur? Malentendu? Ou oubli volontaire? Perplexe, Caren s'interrogeait.

Il n'était pas exclu que Fabrice, en dépit de ses protestations,tente de la pousser dans ses retranchements. S'il se figurait vaincre ses réticences en la plaçant devant le fait accompli,il se trompait ! Soudain, le vacarme de la pluie sur le toit résonna à ses oreilles d'un écho menaçant, et il lui sembla que l'atmosphère dans la petite chambre devenait étouffante.

Quelle imprudence de s'être embarquée dans un endroit aussi isolé avec un homme qu'elle connaissait à peine! Où avait elle la tête? Son besoin éperdu de fuir Paris, de quitter Lucas avant qu'il la quitte, avait altéré ses facultés de jugement.

Là, Caren prit une décision : elle ne passerait pas une nuit, une seule, sous le même toit que Fabrice! La décence voulait qu'elle lui offre de partager son repas, mais ensuite, il irait se chercher une chambre dans le village. Pourvu qu'il ne se fâche pas trop. Certes, elle ne lui avait rien promis, mais le seul fait d'avoir accepté qu'il l'accompagne jusqu'ici la plaçait en délicate position. Le cœur battant, Caren entendit serefermer en bas la porte d'entrée. Il n'y avait pas une minute à perdre. Pourtant, un certain temps s'écoula avant qu'elle rassemble le courage de passer à l'offensive.

Caren s'engagea dans l'escalier, se répétant mentalement ce qu'elle allait lui dire. Là, elle l'aperçut de dos, dans le séjour, secouant son imperméable pour en ôter les gouttes de pluie. A présent qu'elle était seule avec lui, Fabrice lui paraissait plus grand, plus impressionnant... Elle eut du mal à parler, se racla la gorge.

— Fabrice...Fabrice, j'ai réfléchi...

A cet instant, il se retourna et la suite ne put franchir les lèvres de la jeune femme. Sa main chercha appui sur la rampe : une soudaine faiblesse la gagnait. Stupeur! Ce n'était pas Fabrice...mais Lucas!

Un odieux marché (Noces sous contrat)Where stories live. Discover now