15. Zara

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Quelle que soit sa nature, personne ne gagne une guerre.

Ceux qui affirment le contraire sont arrivés longtemps après, ils ont marché sur les ruines des maisons détruites et y ont fait bâtir leurs palais. Pour eux, la guerre est donc synonyme de palais.

Parole du Méditant


Les marches inégales de la pyramide, hautes de quatre à dix mètres chacune, n'étaient faites ni de la main de l'homme, ni à son usage ; sa pierre ne comportait aucune imperfection, aucune trace d'outil, comme s'il s'agissait de la poussière de l'air coulée en blocs monumentaux. La pyramide était une chose inerte, un siège de cinq cent mètres de hauteur, un sanctuaire élevé par un démiurge, au quarantième jour de son déluge, pour s'y tenir à l'écart du monde qu'il venait de façonner.

Ils montèrent ces degrés par bonds ; Christophe suivait Shani en tournant fréquemment le regard en arrière. Une tempête de poussière dévorait la face ravinée de Palm, dont les bouillons rougissants avaient la couleur d'un vin clair. Quelque chose était dérangé en ce monde ; des siècles après le cataclysme, il n'avait toujours pas retrouvé son équilibre.

La pyramide eut une fin. Christophe grimpa la dernière corniche à la force des bras. Shani s'était arrêté devant un temple à ciel ouvert, une table de pierre semblable à celle du conseil des immortels, entourée de colonnes.

« Où se trouve votre Méditant ? avança-t-il.

— Son destin est lié à celui de ce monde, mais les dieux et les mortels ne partagent pas les mêmes séjours.

— Arrêtez de parler par énigmes, Shani. Nous n'avons pas le temps pour ces facéties. »

Le médiateur de Kaldor tira un rideau d'Arcs, dévoilant une porte en étoile, imposante, fixée dans le réel à l'emplacement de la table – qui n'était qu'un marchepied. Il fit un geste ; le mécanisme s'ouvrit comme un diaphragme. Christophe entendit des vibrations de la Noosphère ; ils entraient dans un monde intermédiaire, à peine moins réel que le réel, dans lequel le Méditant avait installé sa retraite.

Avec le temps, les rêves s'imprègnent de leurs occupants ; dans l'intérieur cotonneux du pont d'Arcs, mille aspects du Méditant le regardaient avec une curiosité mêlée d'ennui. Un début d'animosité parcourut ces serpents lumineux, ondoyants comme une forêt d'algues, mais ils se calmèrent au passage de Shani.

Du sommet de la pyramide, les deux demi-dieux atterrirent à la base d'une autre, bien plus vaste, comme si leur chemin n'avait servi à rien.

« Il nous a laissés entrer » se rassura Shani.

Christophe ne trouva nul Hélios dans le ciel, ce qui était assez rare pour être souligné. Un soleil unique en occupait la moitié, suspendu derrière le sommet de la pyramide, qui disparaissait dans sa lumière cramoisie. Comme le sol sous leurs pieds, les mille marches devant eux étaient faites d'une même pierre impossible, d'un blanc incrusté d'éclats grisâtres, aux reflets métalliques et cristallins. Pas un grain de poussière, pas un souffle de vent ne perturbait l'agencement de ce sanctuaire. Seul le soleil semblait mobile, dont la rotation incarnait le décompte du Temps.

Shani le précédait toujours ; il le traînait comme un fardeau. À chaque pas, le médiateur de Kaldor laissait tomber derrière lui un fragment de pensée ; de sa position de surplomb, le divin habitant de ces lieux les lisait sans doute.

Comment la mort de Kaldor pouvait-elle faire partie du Plan ?

Le Dévoreur nous aurait-ils tous trompés ?

Nolim II : Le dévoreur d'étoilesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant