Chapitre 6

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- Je ne sais pas comment faire...


La vieille femme sourit doucement, tant elle avait l'impression de se revoir au même âge.


- Pose ta main sur le miroir.


Son élève obtempéra.


- Ferme les yeux et visualise ton reflet habituel. Une fois cela fait, imagine le changer.


La main droite posée sur la surface glacée du miroir et les yeux fermés, Kidane imagina son reflet. Elle se voyait elle même, du haut de son mètre soixante, ses cheveux blonds platines qui, depuis quelques temps, tiraient plus sur un blond un peu plus foncé. Elle vit également ses yeux dont elle adorait la couleur. Puis, elle imagina ses cheveux se raccourcir et devenir bruns. Elle imagina ses yeux devenir marrons. Elle imagina le garçon qu'elle avait encore vu la veille, dans les miroirs disposés un peu partout.

Haile lui ordonna d'ouvrir les yeux, signe qu'elle avait réussi. Elle voulut voir sa Reflection, mais, quelque part dans ses souvenirs, elle entendit un ricanement qui, elle en était sûre, venait de Demsas. Elle entendit également la déception de son père et les pleurs de sa mère.

Ainsi, lorsque Kidane rouvrit les yeux, elle ne vit rien d'autre que le miroir, cassé et vide de tout reflet. On ne voyait, parmi les cassures, même pas son reflet originel. Cela n'avait rien de normal, même elle pouvait le sentir.

Abrha parlait avec Eyob, qui l'avait rejoint entre-temps, de ce qu'il venait de se passer. Haile, quand à elle, semblait soucieuse et profondément inquiète.

La jeune femme, elle, ne bougeait pas, trop choquée pour pouvoir faire ne serait-ce qu'un seul mouvement. Pourquoi n'avait-elle aucune égratignure, même moindre, alors qu'elle venait de briser un miroir à seulement quelques centimètres d'elle et sur lequel elle avait une main de posée ? Et pourquoi, même s'il était cassé, ce même miroir ne renvoyait-il pas à la jeune femme un reflet, quel qu'il soit ? Et enfin, le plus important était cette cassure qu'elle sentait, comme si son esprit lui-même comportait une fêlure.

Eyob s'avança vers Kidane et lui mit une main sur l'épaule que cette dernière ne ressentit pas comme un signe de bienveillance. Contrairement à Abrha lorsqu'il était venu la chercher, le vieil homme la regarda dans les yeux. La jeune femme se sentit perdre pied dans la réalité. Elle revit, en quelques minutes seulement, les dix-huit années composant sa vie. Elle revit l'amour que lui portait son père, la méchanceté dont sa mère faisait preuve pour la rendre toujours plus forte ainsi que les disputes durant lesquelles Demsas s'amusait à la rendre coupable. La conversation de ses parents, le soir du Conseil, revint à ses oreilles. En dernier lieu, elle revit ses amis, ses années d'école, les bals, les conférences, le marché, tout.

Elle réussit à revenir à la réalité sans savoir comment, même si le fait qu'Eyob soit à terre, se tenant la tête entre les mains, devait être un bon indice.


- Que s'est-il passé ?


Haile, dont le visage laissait aisément lire la fureur et la peur, la regarda intensément.


- L'entraînement est fini pour aujourd'hui.


Elle se retourna et partit. Abrha la suivit en portant Eyob. Kidane, elle, resta quelques minutes sans bouger, puis, sortant enfin de sa torpeur, commença à marcher en direction de sa chambre. Elle marchait un peu au hasard, mais la chance devait être de son côté puisqu'elle trouva son chemin.

Elle se laissa tomber sur son lit. Était-elle une incapable au point de même rater son premier entraînement en tant qu'Anima ?

Kidane sauta le déjeuner et même le dîner tant la peur la paralysait. Dans le miroir installé dans sa chambre, aucun reflet n'était visible, même pas celui qu'elle voyait depuis toute petite, celui qui lui ressemblait parfaitement et qui avait grandi en même temps qu'elle.

La jeune femme pleurait. Qu'allait-il advenir d'elle et de sa formation ? Allait-elle seulement pouvoir continuer cette dernière ? C'était tout de même ironique, qu'elle pleure de peur de rater une voie dont elle ne voulait même pas. Elle trembla en s'imaginant ce qu'il allait advenir d'elle si elle était renvoyée. Venant de la ville, elle n'était pas assez forte ou endurante pour travailler aux champs. Devenir malgré elle une personne sans voie n'était pas non plus une situation qu'elle affectionnait et à laquelle elle pourrait survivre. Sans argent et sans perspective de travail un tant soit peu bien payé, comment faire ?

Elle pensa à sa famille. Son père avait-il perdu en crédibilité depuis son Conseil ? Sa mère avait-elle était discréditée à cause de ses bêtises ? Son frère allait-il avoir des problèmes lorsqu'il demanderait à devenir un Exercitus lorsque son tour viendrait ? Sûrement aurait-il droit au miroir, lui aussi. Mais contrairement à sa soeur, son reflet ne changerait pas, Kidane en était certaine.

Le ventre de la jeune femme gargouilla de manière forte, ce qui la fit encore soupirer. Pourtant bien décidée à l'ignorer, Kidane ne put que se lever lorsque son estomac se décida à faire de plus en plus de bruit. Résignée, elle se leva et commença à marcher en direction des cuisines. Grâce aux conseils d'Abrha, elle connaissait maintenant le chemin et était donc capable de se repérer seule, donc sans l'aide de sa satanée Réflection.

Quelques voix se firent entendre près des cuisines, obligeant l'apprentie à se cacher dans un renforcement de couloirs


- Te rends-tu compte des risques que tu as pris ?!


Kidane reconnut sans peine la voix aiguë de Haile.


- Elle est instable Eyob ! Sais-tu ce que cela veut dire ?!


La jeune femme comprit rapidement que les deux vieillards parlaient d'elle. Mais que voulaient-ils dire en disant qu'elle était instable ?


- Tu as pris des risques insensés ! Si elle avait eu un peu plus d'entraînement, tu serais mort !

- Calme toi, Haile.


La voix d'Eyob était posée, tranquille, comme s'il ne s'était jamais évanoui quelques heures plus tôt, comme s'il ne s'était tout simplement rien passé.


- Il faut faire quelque chose, on ne peut pas les laisser comme ça, Eyob.


Eyob ne répondit pas, sûrement réfléchissait - il à une solution.


- Haile, on ne peut l'abandonner.

- Et pourquoi cela ?! On ne peut rester ainsi !


Un soupir se fit bruyamment entendre. Mais savoir qui l'avait poussé était réellement impossible.


- Je croyais que votre devoir, notre devoir, était de les aider, tous.


En reconnaissant la voix d'Abrha, Kidane se sentit presque rassurée. Avait-elle un allié ?

ReflectionsWhere stories live. Discover now