Chapitre 15

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Lorsque Kidane se réveilla, ils venaient de faire une pause, au petit matin, dans un endroit inconnu. La jeune femme ne connaissait pas vraiment ce qui se trouvait en dehors des murs de Hourbes.


- La Forêt des Pieux, expliqua Mehari tandis que Kidane s'amusait avec son miroir de poche.

- Je ne t'ai rien demandé, répondit-elle plus sèchement qu'elle ne l'aurait voulu.



Mehari leva les yeux au ciel.


- Pas de quoi. Je suis toujours là pour répondre à tes questions de petite fille bourgeoise.

- Idiot.



Un rire s'éleva depuis le miroir et Kidane ne put s'empêcher de sourire. Elle sortit du véhicule pour aller se dégourdir les jambes et ne croisa personne. Les affaires d'Eyob, Haile et Abhra étaient là mais eux-mêmes semblaient avoir quitté le petit camp depuis un moment. Alors qu'elle était censée être enfin traitée comme une adulte, Kidane se rendait surtout compte que, finalement, rien ne changeait. Ses parents la mettaient toujours à l'écart des choses réellement importantes. Eyob et Haile faisaient de même. Même Abhra, qui était censé être son allié dans ces terres qui lui étaient encore inconnues, ne faisait pas vraiment office de bras droit. La relation que Kidane entretenait avec lui était modelée par ce que les aînés voulaient qu'il fasse. C'était frustrant.


- Tu devrais partir. Ou les confronter. S'ils veulent que tu restes, alors ils doivent le mériter. S'ils pensent que tu leur es acquise, alors il ne fait aucun doute que tu n'auras le droit à rien d'autre que les miettes. Franchement, à ta place, j'irai me balader un peu au lieu d'attendre.

- Et s'ils reviennent à ce moment-là ? Je ne veux pas qu'ils s'inquiètent.



Mehari lui répondit que, vu que personne ne lui avait dit de rester, elle avait, techniquement, totalement le droit de visiter les environs. S'ils ne voulaient pas qu'elle s'en aille, alors il aurait fallu qu'ils restent pour l'empêcher de bouger. En bref, c'était tant pis pour eux et, malgré tout, Kidane ne put s'empêcher de trouver qu'il n'avait pas totalement tort. Elle partit donc en direction d'un cours d'eau qu'elle entendait. Au vu du bruit qu'il faisait, il ne devait pas être très loin.

La Forêt des Pieux, puisque tel était apparemment son nom, était étrange. Les arbres n'avaient pas tous des feuilles alors même que l'hiver était encore loin. Certains étaient énormes et touchaient presque les nuages tandis que d'autres ne dépassaient pas les genoux de Kidane. Au départ, elle pensa qu'il s'agissait tout simplement d'arbres qui n'avaient pas fini de grandir mais non, même pas. Ils étaient tout simplement minuscules.

Le ruisseau auquel elle arriva était tumultueux. L'eau virevoltait dans tous les sens, comme si elle tentait de fuir son lit.


- Ne pense même pas à faire demi-tour.



Décidément, Kidane ne serait jamais tranquille. Pourquoi, même sans être présent devant elle, Mehari continuait à lui parler ?


- Je suis dans le miroir de poche. Ce n'est pas parce qu'il est fermé que le miroir a disparu, tu sais ? répondit-il à la question silencieuse. Bref, n'aie pas peur de l'eau ou tu n'arriveras jamais à la contrôler.

- La contrôler ?



Contrôler l'eau ? Un élément ? Rien que ça. Kidane eut envie de rire. Si une telle chose était possible, alors on en aurait parlé à l'école et les Anima n'auraient pas été marginalisés mais bien utilisés pour bon nombre de travaux importants. Mehari devait se payer sa tête, cela n'aurait même rien d'étonnant.


- Même si ce n'est pas du verre, l'eau reste un miroir. Essaye.



Ce n'était pas totalement idiot, comme réflexion. De toute façon, Kidane n'avait pas vraiment d'autres choses à faire de sa journée alors... pourquoi pas ? Elle fit comme elle avait l'habitude lorsqu'elle tentait de faire apparaître Mehari. Au plus proche du plan d'eau, elle laissa sa main se balader à la surface et se força à essayer d'imaginer quelqu'un, de l'autre côté de cette étendue.

Au plus profond d'elle-même, Kidane sentit quelque chose se briser. Elle eut du mal à garder sa respiration, se sentit tomber mais quelque chose la releva et l'aida.


- Merci.



Le corps de Kidane revint à la normale quelques minutes plus tard, de même que son esprit. L'eau reflétait un corps et, un instant, la jeune femme crut qu'il s'agissait d'un mort, avant de se rendre compte que cet inconnu lui parlait.


- Je suis Tewelde, enchanté.



En son for intérieur, Kidane eut envie de se dire qu'il s'agissait là tout simplement d'un homme noir au visage quelque peu émacié, aux cheveux crépus courts et aux yeux presque noirs, eux aussi.

Kidane hocha la tête et s'apprêtait à demander plus d'informations sur ce dont Mehari lui avait parlé mais, au loin, quelqu'un cria son nom. Moins de quelques secondes plus tard, Abhra fonçait sur elle pour l'éloigner du ruisseau et la ramener au camp; il semblait terrorisé. Il tenait le bras de sa cadette avec force, à tel point qu'elle eut rapidement mal mais, n'ayant pas assez de forces, Kidane n'arriva pas à retrouver sa liberté. Abhra ne la lâcha qu'une fois qu'ils furent arrivé à la charrette. Il ne s'excusa même pas en voyant que le bras de Kidane commençait à changer de couleur.


- On y va, dit-il simplement.



Eyob et Haile n'étaient pas revenus mais Kidane n'osa pas demander pourquoi on ne les attendait pas. Abhra ne lui aurait sûrement pas répondu, de toute façon. Ils récupérèrent les deux aînés quelques dizaines de minutes plus loin, toujours sans un mot. Pourquoi Abhra était-il le seul à être revenu, dans ce cas-là ? Son instinct lui disait qu'il avait dû sentir l'apparition de Tewelde et, donc, qu'il avait dû rappliquer instantanément. Kidane n'était pas censée être au courant du fait que l'on puisse avoir plusieurs Reflections. Elle n'était pas assez âgée pour cela, apparemment. Tant pis, cela resterait son petit secret.

ReflectionsWhere stories live. Discover now