Des petits bouts de papier

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Yeux ouverts sur le plafond, Clarence met plusieurs secondes à se remémorer les derniers événements.

La crise, les cauchemars, encore et toujours. Ceux qui épuisent ses jours et ses nuits et lui donnent juste envie d'en finir pour arrêter de souffrir.

Il cache son visage sous avant-bras. Il n'a même plus la force de pleurer. Il ne l'a jamais eue. Toutes ses émotions sont prisonnières et seules la colère et la culpabilité ont trouvé la faille dans cette carapace pourtant fêlée de toutes parts.

Une profonde respiration, le son d'une voix endormie, celui de vêtements froissés. Il laisse glisser son bras et le temps à ses yeux de percer la pénombre.

Dean est là, affalé sur une chaise, les jambes tendues et croisées, une bouteille de bière en déséquilibre sur sa cuisse. Maintenue par il ne sait quel miracle par une main aux doigts relâchés.


Clarence tire sur ses bras et s'assied en s'adossant au mur du dortoir. Il l'observe un long moment, perçoit les taches de rousseur sur l'arête de son nez et sourit tristement.

Dean est resté.

"Quand tu auras fini de me mater ! ", fait sa voix sourde tout en gardant ses paupières closes.

Par réflexe, Clarence  tire sur sa couverture.

"Qu'est-ce que tu fais là ? ", las.

"Devine ", en ramenant ses jambes vers lui tout en ouvrant les yeux.

"Dean... ", dans un soupir, détournant le regard vers le néon du plafond.

"Je crois bien que c'est mon nom ", ironise ce dernier endéposant sa bière au sol. " J'ai parfois l'alcool amnésique ", en se grattant la nuque, embarrassé.

"Je suis désolé...pour...", vague geste de la main. "J'aurais voulu t'éviter... ça ", en détournant la tête vers son fauteuil.

"Ça... ça t'arrive souvent ? ", après une courte pause,usant des mots avec prudence, coudes sur les genoux.

Clarence se contente d'un rire amer. Une réponse en soi.

"Okay... Il va nous falloir trouver quelqu'un pour t'aider à gérer ça, hum ", sourire dans la voix.

"Je te l'ai dit : je refuse... "

"Je sais... tu l'as gueulé assez fort tout le quartier ", le coupe Dean, boutade qui n'en est pas une.

"Ça ne marche pas. La preuve ", en indiquant les quelques lits occupés.

"On peut te trouver un... enfin je veux dire quelqu'un pour...", bafouille Dean.

"Un psy, tu veux dire ", impassible, yeux ancrés à son fauteuil.

"On peut t'en trouver un qui ne fasse pas partie de l'armée ?", en faisant jouer nerveusement ses doigts. " Tu peux pas continuer à...", en se tournant vers lui. " C'est inhumain, Cass ", d'une voix trop basse.

Un ange passe, bercé par les respirations saccadées des autres occupants du dortoir.

" J'aurais voulu que ces quelques lignes suffisent ", relance Castiel en fermant les yeux. " J'aurais voulu ne jamais te revoir ",résigné.

Dean fouille sa poche et en sort son porte-feuille. Il ouvre le petit papier usé et relit pour lui-même les mots presque effacés.

" J'étais tellement en colère contre toi à ce moment-là que j'en ai oublié que, de nous deux, c'était toi qui souffrait le plus... Toi qui avais tout perdu dans cette histoire... Alors que moi, la seule chose qui avait souffert, c'était mon putain d'orgueil mal placé qui n'avait pas supporté ton rejet ", rire plein d'amertume et de regrets. " C'est d'un pathétique", en déchirant,rageur, le billet en morceaux.

Le chasseur et le soldat : Les invisiblesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant