Partie 61

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Point de vue de Damien

Je ferme tout doucement le placard en serrant contre moi le gâteau que je viens d'en sortir. Je me retourne et m'apprête à regagner ma chambre à pas de loup, tout fier de ma prise, mais la silhouette qui se tenait derrière moi me fait sursauter. Aussitôt, la frustration m'envahit : j'étais si près du but !

La femme me surplombe, il est vrai que je suis assez petit pour mes sept ans. Elle s'agenouille. Je distingue son visage avec précision. Elle est très belle, mais son visage est recouvert d'irrégularités : des bleus autour de ses yeux, un pansement sur son arcade sourcilière, une balafre rouge vif parcourant sa lèvre fendue. Je veux lui demander qui lui a fait ces bobos, mais elle me devance :

-Qu'est-ce que c'est que ça ? me demande-t-elle doucement.

-J'avais faim, je réponds, tout penaud, oubliant mes préoccupations. Tu vas me punir ?

Un faible sourire vient éclairer ses joues battues.

-Non, ne t'inquiète pas.

Je relâche mon souffle, soulagé.

-Et toi, pourquoi tu dors pas ?

-J'allais me balader, je n'arrive pas à dormir.

-Je peux venir avec toi ?

Elle rit.

-Non, si tu veux devenir un grand garçon tu as besoin de sommeil, dit-elle avec tendresse en me caressant le visage.

-Qui est-ce qui t'a fait mal ?

Je vois la peur recouvrir ses traits mais elle disparait en moins d'une seconde.

-Personne, mon grand. Je...je vais à une soirée déguisée.

Mon âme d'enfant me souffle qu'elle ment, mais je ne m'attarde pas dessus. J'ai un mauvais pressentiment.

-Je veux pas que tu partes...je lui avoue, soudain tout triste.

Elle s'approche de moi et prend mes mains avant de les embrasser.

-Je ne peux pas rester et vous laisser croire que tout ça est normal, dit-elle la voix enrouée, comme si parler était devenu douloureux pour elle. Mais ton papa ne doit pas savoir que je vais à cette soirée.

J'essaye de réfléchir à ses paroles. Pourquoi elle ne veut pas que je le dise à papa ? Je crois que je ne comprends pas quelque chose, mais je suis trop fatigué pour saisir quoi. Plusieurs secondes s'écoulent. Soudain, elle s'éclaircit la gorge, puis un air joueur recouvre ses traits et elle se penche vers moi comme si elle allait me faire une confidence.

-Ce sera notre petit secret, daccord ? chuchote-t-elle. Je ne t'ai pas vu, et tu ne m'as pas vue.

Cela balaye mes soupçons et je secoue la tête avec enthousiasme. Pour une fois qu'on me traite comme un grand ! Elle se penche vers moi et m'embrasse sur le front avant de me serrer très fort dans ses bras au point de me faire mal. J'ai un mouvement de recul incontrôlé parce qu'elle ne me fait jamais ça, papa ne le veut pas, mais c'est très agréable et je me laisse bien rapidement câliner.

-Prends soin de tes frères, glisse-t-elle dans mon cou. Sois un gentil garçon et tout ira bien. Je t'aime très fort.

Je m'apprête à répondre mais la femme s'écarte de moi et se relève. Elle m'adresse un dernier sourire maternel et tourne les talons. Mon cur se serre en la voyant partir. Je remonte rapidement dans ma chambre grignoter mon gâteau en cachette.

***

-Eloïse ! ELOÏSE !

Je suis réveillée par les cris de papa. Il rentre dans ma chambre deux secondes plus tard. Je me redresse et remonte la couverture sur moi. Il est énervé. Peut-être que si je m'excuse pour les gâteaux il ne me grondera pas ? J'ouvre la bouche mais il me coupe :

-As-tu vu ta mère ?

Ouf, il nest pas fâché contre moi ! J'ai envie de lui dire que oui mais je ne peux pas, maman m'a dit que c'était un secret. C'est comme une partie de cache-cache. Je mets ma main devant ma bouche et glousse en y pensant.

-Ça te fait rire ?!

Il fonce sur moi et me gifle très fort. Je reste le souffle coupé, ma joue me brûle. Je ne comprends pas ce que j'ai fait de mal. Les larmes se mettent à couler de mes yeux.

-Tu as vu ta mère !? répète papa.

-Je ne peux pas le dire, je sanglote en tenant mon visage, c'est un secret.

Il m'attrape par l'encolure du t-shirt et me maintient contre le mur, ce qui me fait encore plus mal.

-Un secret !? TU TE MOQUES DE MOI ? DIS-MOI OU ELLE EST !

-Elle...Elle m'a juste dit qu'elle sortait...je capitule, en pleurs.

-Qu'est-ce qu'elle t'a dit exactement ? ET ARRÊTE DE PLEURER BON SANG !

-Qu'elle allait à...une fête déguisée, je fais des efforts pour me souvenir. Et aussi...qu'elle m'aimait très fort...

Mon père me lâche. Je me cache le visage parce que je pense qu'il va encore me frapper mais il ne le fait pas. A la place il se met à rire, mais je ne comprends pas pourquoi.

-Qu'elle t'aimait ? finit-il par lâcher. Elle t'a dit qu'elle taimait et tu l'as crue ? Tu es encore plus idiot que ce que je pensais, c'est pas possible. Elle est partie, tu comprends ça ? PARTIE. Elle nous a abandonnés. Elle ne reviendra pas.

Il fait demi-tour et s'en va. Je reste tout seul dans mon lit. Est-ce que c'est vrai ? C'était la dernière fois que je voyais ma maman ?

Je me rallonge et met ma tête dans l'oreiller pour pleurer sans bruit. Je n'aurais pas dû la laisser partir. Tout ça c'est ma faute.

J'ouvre les yeux. Mes joues sont humides. C'est la première fois que je revis ce souvenir dans sa totalité. Il était loin, très loin, perdu au fin fond de mon inconscient comme si ma mémoire avait voulu l'effacer. Mais il est revenu maintenant et je ne peux pas l'ignorer. Car voilà ce qui se passe lorsqu'on refoule.

Sois un gentil garçon. J'ai lamentablement échoué, réitérant les erreurs de mes aînés, rendant vaine la fuite de ma mère. Pardon.

La porte s'ouvre mais je ne me redresse même pas. David attend quelques secondes puis, voyant que je ne ferai pas un geste, s'avance dans la cellule.

-Il y a quelqu'un pour toi au téléphone. Jérémy. Il a essayé d'appeler toute la matinée mais tu dormais, je n'ai pas voulu te réveiller.

-Dis-lui de ne pas rappeler. Je ne veux plus le voir ni entendre parler de lui, je murmure.

-Mais...

-Je ne veux plus le voir ni entendre parler de lui, je répète plus fermement.

David soupire puis s'en va.

Tout est limpide désormais. Il est temps de changer les choses. Je dois laisser partir Maëva.

Je suis ton ombreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant