20. Genèse

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« Aime ton prochain ». « Tends la main à ceux qui en ont besoin ». « Sois bon ». Tant et tant de phrases qui n'ont de sermons que le nom. De mots désuets et ayant perdu leur sens depuis les éons, instrumentalisés puis oubliés.

Vous voyez, j'ai grandi dans une famille catholique, une vraie de vraie comme on n'en fait plus. Messe du dimanche, prière avant le repas, Carême... La totale. Mes parents n'avaient rien d'exceptionnel, je vous arrête tout de suite. Ils n'étaient pas fanatiques, ni membres d'une secte obscure pratiquant le sacrifice de chèvres. Non, c'étaient simplement de bons chrétiens, fidèles et investis, qui n'aspiraient qu'à sauver leurs âmes des griffes du Malin pour pouvoir accéder au Paradis.

Dès mon plus jeune âge, je l'ai cru, moi aussi. Que nos actions avaient cette fin, ce but. Qu'il fallait répandre le bien si nous voulions accéder à la félicité éternelle. Il faut dire que j'étais inscrit dans une école catholique pur jus, qui complétait à merveille l'éducation que mes parents avaient décidée pour moi.

J'étais heureux. Cette religion m'apportait un idéal, une raison de faire le bien. Elle donnait à mes parents la volonté de se lever le matin, d'aller travailler, d'aider leur prochain. Je me fichais bien de ce que pouvait penser autrui à mon sujet, j'aimais cette vie. Et longtemps, ça a duré. Jusqu'à ce jour de mes dix-huit ans, lorsque j'ai finalement attrapé mon courage à deux mains, et ai avoué à mes parents mon homosexualité. Après tout, Dieu n'est qu'amour, ils me l'avaient dit. Qu'est-ce que je risquais ? Eux m'accepteraient, et Lui aussi. À vrai dire, nous n'avions jamais discuté du sujet auparavant. Je savais que certains catholiques se positionnaient fondamentalement contre la chose, mais j'étais convaincu que mes parents, eux qui m'avaient élevé dans l'amour, le leur et celui du Seigneur, m'accepteraient.

J'avais tort. À un point que je n'imaginais même pas.

Lorsqu'elle a entendu ma déclaration, ma mère a marqué un temps d'arrêt, puis a fondu en larmes en joignant les mains. Mon père, lui, est resté impassible et m'a simplement demandé, le plus calmement du monde, de rejoindre ma chambre. Ma mère, d'habitude si enjouée. Mon père, d'ordinaire si chaleureux. C'étaient mes mots qui les avaient bouleversés à ce point ?

Devant le regard insistant de mon géniteur, j'ai monté les escaliers en courant, et ai à peine eu le temps de claquer la porte de la chambre derrière moi qu'un cri de rage m'est parvenu depuis le rez-de-chaussée. Je ne comprenais pas. C'était mal ? Dieu est amour. Dieu aime chacun de ses enfants de la même façon. C'est ce que mes parents, que j'admirais tant, m'avaient appris. Alors que ma vue se brouillait de larmes, je suis tombé sur mon lit, empli d'un étrange mélange d'incompréhension et de culpabilité. C'était évident, pourtant. La réponse m'apparaissait enfin, clairement. Comment avais-je pu m'imaginer une seule seconde que cette révélation allait les laisser de marbre ? Que Dieu me pardonnerait ? J'avais révélé aux deux êtres que j'admirais le plus au monde que j'étais un pécheur, une engeance du Malin.

Au comble de la douleur, mêlé entre foi et révolte, je me suis recroquevillé sur mon matelas, et ai pleuré à gros sanglots. Encore aujourd'hui, je ne saurais dire si les larmes versées ce soir-là l'étaient plus par culpabilité ou par désillusion, mais ces deux sentiments étaient bien là. Le lendemain matin, après une nuit de lamentations, mon père est entré dans ma chambre, et m'a amené à l'église. Le Père Martin, que nous connaissions bien, est rapidement venu à notre rencontre, et m'a considéré d'un œil inquisiteur. J'imagine qu'il avait dû recevoir un appel de mes parents en amont, car il semblait parfaitement au fait de la situation. Après quelques instants, il les a regardés, et s'est mis à parler de choses que je n'ai pas saisies. D'une maladie, d'une unique solution. D'une thérapie. Du fait que mes parents devraient rester discrets, que tout ceci resterait entre lui, eux, et le Seigneur.

Chair de poule 2 [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant