Chapitre 15

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Je demeurais silencieuse, comme lorsque l'on réalise que ce que l'on s'était imaginé mille fois jusque là n'avait pas le sens qu'on lui donnait. Je sentais la notion de vie privé, d'intimité, d'authenticité éclater en milliers de débris de verre. En demeurant calme et docile, je reposais mon verre sur le comptoir face à moi. Des pensées sombres m'envahissaient. J'avais ce sentiment que quoique nous fassions, ils s'appropriaient nos vies, nous rongeaient jusqu'à l'os, que des menottes invisibles sciaient nos peaux. Je fermais les yeux quelques secondes en me retournant. Il mettait la table et moi j'inspirais profondément pour ne pas tout lui jeter à la figure. Je mangeais en silence malgré mon soudain manque d'appétit. Je n'attendais pas qu'il termine pour débarrasser mon plat et monter dans ma chambre me coucher, j'avais besoin d'être seule.

Le lendemain au mariage de Livia tout était parfait, comme si nous voguions à bord d'un bateau sur une mer calme et sous un doux soleil. Livia était rayonnante dans sa robe blanche, ornée par son sourire. Ses yeux brillants parlaient pour elle. Ils semblaient exprimer tout ce que l'amour rend impossible à traduire par des mots. Elle était amoureuses, il n'y avait aucun doute. Et l'amour rend le mariage aussi prenant que peut l'être la haine.
Eva, la tante de Lazzaro, nous rejoignit à notre table et m'emmena avec elle marcher à travers les invités.

« Alors comment se passe ton quotidien de jeune mariée ? » me demanda-t'elle en réajustant son châle sur son épaule.

Discrètement je jetais un coup d'œil vers Lazzaro au loin, ils nous observaient et n'écoutaient que d'une oreille ce que Vincenzo, son ami et bras droit lui disait. Je me concentrai alors sur Eva et installai un sourire sur mes lèvres.

« C'est parfait. J'avais peur que ce soit précipité mais tout est très bien au final. » mentis-je.

« J'en suis heureuse. Je ne pouvais pas espérer mieux que toi pour mon Lazzaro. Tu sais, il est un peu difficile à vivre, il est souvent froid et dur mais j'espère qu'il saura s'ouvrir à toi et se libérer un peu de tout ce qu'il porte. » dit-elle en baissant un peu la voix.

Je décelais de la tendresse dans ses yeux clairs, une certaine usure aussi, émotionnelle, mentale. Elle aussi n'était pas indemne visiblement. Je lui souris, mon cœur se serra face à cette femme qui tout d'un coup, bien que grande, élégante et aimée par cette famille, me parut triste et terriblement seule au milieu de ce beau monde.
Quelques heures plus tard, je vis un peu d'agitation autour de Lazzaro. Vincenzo relâchait sa cravate avec un air grave sur le visage.
Je m'approchais d'eux et face à mon regard interrogatif, Lazzaro plaça une main dans mon dos et s'approcha de mon oreille.

« Je dois partir une heure ou deux. Si d'ici la fin de la fête je ne suis pas de retour alors on se voit à la maison. » il déposa un baiser sur ma tempe, nous feignons tous les deux d'être un couple amoureux.

Je trouvais ce départ précipité bien étrange mais c'est en le voyant rentrer au petit matin avec des éclaboussures de sang sur la chemise et les phalanges abimés par des coups qu'il avait donné que tout s'éclaira. J'étais dans le salon, assise sur le fauteuil, les jambes pliées sur le côté. Lorsqu'il me vit réveillée, ses sourcils se froncèrent.

« Pourquoi tu ne dors pas ? »

« Pourquoi as-tu du sang sur les mains ? »

« Tu te doutes bien que les Moretti ne font pas des business de pistache. » lâche t'il en déboutonnant sa chemise. Il la retira complètement, la jeta au sol avec un sourire au coin des lèvres.

« Qu'est ce que ça te procure de voir le sang giclé, de sentir la vie vaciller entre tes mains ? » dis-je dans le semi-pénombre, calmement j'articulai chaque mot, observai chacun de ses gestes, chacun de ses muscles rouler dans ses mouvements.

Il rit, sombre et cynique.

« Ah Alaïa tu veux savoir comment je me sens ?...Vide. J'ai le sang d'un traite sur les mains, et je me sens vide. Ironique n'est ce pas ? Pas une once de jouissance, pas une once de colère. Uniquement du vide. »

« Qu'est ce qu'il a fait ? »

« Ce n'était qu'un pion dans une histoire qui remonte à il y a des années. » Il se servait un verre de whisky, sa voix était basse, presque rocailleuse.

« Poses ce verre, je crois que tu as assez bu. »

« Ne donnes pas d'ordre, je n'aime pas ça dans ta jolie bouche. »

Je soupirais en levant les yeux, mes mains étaient crispées l'une contre l'autre. Je bouillonnais.

« Je me contre-fiche de ce que tu aimes ou n'aimes pas chez moi Lazzaro. Regardes-moi bien et n'oublies jamais que je n'en ai rien à foutre. »

Je me levais et pris une petite serviette propre posée sur la table basse. Je la lui collais contre le torse, attendant qu'il la prenne en main.

« L'odeur du sang émane de toi. » dis-je en soutenant son regard.

« Habitue-toi à cette odeur. »

Il prit la serviette et la balança sur le canapé avant de m'attraper par le bras alors que je commençai à lui tourner le dos pour aller me coucher.

« Tu ne peux pas me détester. » il me rapprocha de son corps en observant chaque trait de mon visage.

« Pourquoi je ne pourrais pas ? »

« Parce que je te le demande. Ça va te bouffer, toute entière. » dit-il et je sentis ma poitrine bruler sous ma peau. Il semblait connaître parfaitement ce dont il parlait. Ses iris noir ne me quittait pas. « Ce gars là a participé à l'assassinat de mes parents, et à lui et à ses confrères, je leur prendrais jusqu'au dernier souffle de vie. Mais toi, toi tu dois vivre. Tu dois être l'autre côté de cette anarchie. »

La Promise (1er jet) Où les histoires vivent. Découvrez maintenant