Le voyage est propre à chacun

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Lyrallia, le port dans lequel le Fier au Vent avait accosté, voyait arriver un grand nombre de voyageurs. Porte d'entrée du continent d'Orient, toutes les cultures s'y croisaient. Outre son statut de place tournante de marchandises, épices, soieries, porcelaines et autres poissons rares, Lyrallia abritait un nombre important de temples et autres lieux de cultes, ce qui en faisait un endroit hautement spirituel. Toutes les croyances se côtoyaient en paix dans cette ville sainte : on y trouvait les moines birmalien en contemplation silencieuse, des prêtres du Culte de l'Après-Vie venus convaincre d'éventuels nouveaux adeptes ou encore des prêcheurs de la Piété. Sérény apprit par les marins qu'un conseil représentant toutes les croyances administrait la cité, qui avait été mis en place après de sanglantes guerres de religions. Lyrallia avait été construites à l'endroit même où avait été signés les traités de paix, et plus jamais une croyance n'avait tenté de prendre le pas sur l'autre. Du moins, en ces lieux.

Un bémol semblait subsister toutefois, au grand dam de la jeune fille. Ici, on croyait à la Claraflos, on savait plus ou moins précisément où elle était, car de nombreuses personnes avaient raconté leur expérience avec cette fleur. Cependant, l'enthousiasme s'était tari, remplacé par d'autres croyances au fur et à mesure des générations. Beaucoup de ceux qui avaient eu la chance d'admirer son éclosion la dernière fois était mort depuis longtemps. De plus, Sérény constata avec dégout que certains n'avaient peu de scrupule quand à faire du profit sur la plante. L'éclosion approchait, et, qu'on y croyait ou non, il y avait toujours des voyageurs à faire le périple.

De nombreux marchands à la sauvette l'avaient bien compris, et essayaient de vendre des objets pour faciliter le périple, du soi-disant pollen de la plante ou des cartes à la précision douteuse. La Claraflos était devenue un marché comme un autre. Sa grand-mère se rappelait être venue à Lyrallia plus jeune, même si elle concéda que la ville s'était bien agrandie depuis. Pour changer les idées de sa petite-fille, elle la guida vers un endroit qui l'avait marquée et dont elle se rappelait depuis tout ce temps : le temple des sœurs de l'Illumination. Dans les collines autour de la ville, encore épargnées de l'urbanisation, subsistait un temple isolé, où des femmes retirées du monde vivaient en autarcie. Ceux qui le souhaitaient pouvaient partager un peu de leur temps et de leurs coutumes, ainsi que loger sans contrepartie pécunière en échange d'aide pour les tâches les plus difficiles. Sérény fut séduite par cette idée.

"La montée va être ardue, avec moi sur les épaules, prévint la grand-mère, nous pouvons trouver une autre solution si tu le préfères.

- Non cela me va très bien, nous prendrons le temps qu'il faudra mais j'ai envie de quitter le brouhaha de cette ville le plus rapidement possible, au moins pour quelques temps " trancha la jeune femme

La montée serpentait partiellement dans les forêt, et la route était plus fait de terre et d'escaliers de  bois que de pavés. Pour autant, Sérény appréciait cet effort, après tout, elle se devait de mériter son repos !

Ce fut ainsi que les deux femmes vécurent quelques jours avec les sœurs. Le monastère se trouvait à flanc de montagne, d'où on avait une vue dégagée sur la vallée qui débouchait sur la ville et la mer au delà. La clémence du temps en cette saison permettait d'apercevoir les bateaux à voiles blanches qui voguaient au loin; tout au long des journées. Le temple, tout en pierre sombre, s'étalait sur plusieurs bâtiments, que des nombreux jardins bien entretenus entrecoupaient. Sur place, les deux voyageuses partagèrent une chambre, remplie du strict minimum en termes de mobilier : deux lits et une commode. Après le brouhaha de la ville, Sérény ne trouva pas cela désagréable et eut tout le loisir de tenter de percer les secrets de la méditation et de l'introspection, en échange de travaux aux ruches et au potager. Cerise sur le gâteau, quelques sœurs très âgées se rappelèrent de cette jeune fille pleine d'entrain qui était venue les voir autrefois, et toutes furent ravis de ces retrouvailles.

Malgré tout cela, les attentes de Sérény quand à la Claraflos avaient vacillé, et elle se demanda plus d'une fois si c'était une aventure raisonnable. Si des gens y croyaient, peu semblaient intéressés par cette fleur et son éclosion. Les gens s'en étaient détournés, alors que selon son aïeule, l'éclosion de la Claraflos entrainait un véritable pèlerinage depuis les quatre coins du monde, il y a de cela seulement deux générations. Elle sentit que la méditation pouvait l'aider à y voir plus clair dans le trouble qui la tiraillait, et elle décida de demander conseil à une des sœurs un beau matin. Elle erra aux hasards des couloirs, quand elle aperçut une sœur rentrer dans la salle de prière. 

Des vitraux représentant des scènes religieuses éclairaient la pièce de vives couleurs multicolores, un marbre patiné par les siècles couvraient le sol, et des rangés de bancs se dressaient devant un simple autel de bois. Une statuette de la divinité des sœurs, que l'on croisait partout dans le temple, observait la scène, de son visage joyeux. La femme, que Sérény reconnut comme Emanuella, époussetait des calices avec un plumeau de plumes.

"Ma sœur ? chuchota la jeune femme.

- Que puis-je pour toi, très chère?" répondit la sœur sans lever la tête de sa tâche.

- Ma sœur, je sens que vos techniques d'apaisement pourraient m'être utile, expliqua la jeune femme, toute ma vie j'ai laissé mes émotions obscurcirent mon jugement. Cela m'a été fâcheux en de nombreuses occasions."

Emanuella, une vieille femme à la peau brune, tannée comme du cuir, fut interpellée par la demande de la voyageuse. La religieuse l'invita à s'asseoir sur le banc le plus proche à ses côtés. Une fois ceci, elle et lui prit les mains.

"De quelles émotions parles-tu ? questionna la sœur.

– La tristesse, celle de voir le monde se diriger vers une direction qui ne me correspond pas, et qui ne devrait correspondre à personne, expliqua Sérény d'une voix faible, mais aussi de la colère, envers tous ceux qui ne pensent pas comme moi.

– Je vois, autre chose ?

– De la peur, ajouta-t-elle dans un souffle, la peur de ne pas trouver ce que je cherche, que la Claraflos ne soit pas à la hauteur des fables, que ma grand-mère finisse ses jours sur une déception, mais aussi la peur de ne pas trouver ma place dans la vie.

– C'est normal de ressentir toutes ces émotions, chacun les ressent, même si à des degrés divers. Nous les sœurs de l'Illumination, passons notre vie à étudier ses sensations, et nous nous efforçons de les accepter.

– Avez-vous des clés à me fournir, ma sœur ? Je vous en serai grandement redevable, supplia presque Sérény.

– Apprends à observer tes émotions, sans que celles-ci ne t'atteignent. Tu ne dois pas réagir, mais les laisser passer. Nos émotions peuvent être des moteurs, mais aussi des freins, et c'est en prenant le recul nécessaire que tu seras en mesure des les comprendre, et de résoudre ce qui les animent, conseilla la sœur.

– Et cela en méditant ?

– Bien sûr, mais ne crois pas que ce sera aisé, tu pourrais passer ta vie sans réussir à obtenir un équilibre. Que ce soit les sensations positives ou négatives, tu dois les vivre sur le moment présent, puis les laisser passer, et accepter d'avancer.

– Je dois... commença-t-elle, je dois réfléchir à tout cela.

– Oui, tu le dois. Tu possèdes une grande force morale, et si tu parviens à la canaliser, à l'orienter pour atteindre tes objectifs, plus rien ne te barrera la route, conclut la religieuse en se levant.

– Ma sœur ?

– Oui ? Demanda-t-elle en se retournant avant de franchir la porte du temple.

– Avez-vous réussi ?

– Bien sûr que non, mais je continue d'essayer. »

Puis elle s'en fut. Sérény resta un bon moment à analyser les paroles de la sœur et à méditer. Elle sortit à la tombée de la nuit, puis trouva sa grand-mère assise sur le banc situé sous le cerisier en fleurs. Celle-ci regardait les milles couleurs du crépuscule, un léger sourire aux lèvres. Ses yeux s'illuminèrent fugacement quand elle vit arriver sa petite-fille.

Peut-être qu'elle avait réussi, elle, à atteindre la sérénité.

La quête de la ClaraflosOù les histoires vivent. Découvrez maintenant