Conclusion et nouvelle vie

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Elles furent déposées plus tard, frigorifiées par l'altitude, proche d'une route qui menait au bac du grand fleuve de la jungle Luweng. Le trio descendit de leur étrange monture, cachés par les arbres : les dragons attisaient toutes les convoitises.

« Sache-le, si le cœur t'en dit : nous resterons encore trois semaines là où nous sommes, puis nous partirons vers le nord. Vous serez toutes les deux les bienvenues si vous nous retrouvez" détailla Luu.

Le nomade embrassa Sérény sur la joue, enlaça sa grand-mère, puis remonta sur Balarian avec grâce et s'envola. La jeune femme eut un pincement au cœur en voyant son amant disparaître de son champ de vision et de sa vie.

"Ne t'en fais pas, des bellâtres, tu en croisera toute ta vie, crois moi" la réconforta sa grand-mère.

Là, elles rencontrèrent des marins qui connaissaient la procédure : elles n'étaient pas les premiers pèlerins ces temps-ci. L'embarcation remontait tranquillement le fleuve. La jungle les entourait et les étouffait, mais quelques merveilles en sortaient quelque fois : des animaux colorés et inconnus, insectes aux tailles improbables, oiseaux au plumage coloré ou primates à quatre bras qui venaient les saluer. De temps à autre, Sérény devinait des yeux derrières les feuillages, témoignage que des tribus vivaient ici, recluses du monde. 

Au bout de plusieurs heures, l'aïeule et sa petite-fille débarquèrent à un étrange village. Sérény pouvait sentir que l'énergie de sa grand-mère avait décliné au fil des semaines passées, même si celle-ci s'efforçait de ne rien en montrer. La jeune femme commençait à appréhender le voyage de retour. Au fur et à mesure des derniers kilomètres, une foule de voyageurs venus des quatre coins de la civilisation s'était formée sur le fleuve. Tous venaient voir la Claraflos, mais à en croire sa grand-mère, le nombre de personne fut plus important la dernière fois, signe selon elle que les temps changeaient. Fort de sa proximité avec le fameux pollen de la fleur, une végétation luxuriante entourait le village, et chaque arbre semblaient offrir un fruit différent, de tailles et de couleurs variées, et Sérény n'en reconnaissait aucun. La canopée touffue cachait en grande partie le soleil, et seules quelques tâches de lumières parvenaient au sol. Les habitations respectaient la nature : un entremêlement de branchages qu'on avait fait pousser dans une certaine direction formaient les huttes, et aucun rameau n'avait été coupé. Les habitants préparaient un accueil chaleureux aux arrivants. Des tambourins et des maracas enchantaient l'atmosphère d'un ensemble musical dynamique, on leur offrait colliers de fleurs et fruits. La grand-mère, bien que pâle, accueillit ces festivités avec joie et enthousiasme.

« Bienvenue à Tanana-Farany, que vous pouvez appeler Le Dernier Village du Bout du Monde, même si pour nous, ce n'en est que le début. »

Les locaux, de grands êtres à la peau couleur ébène et aux corps sveltes partagèrent donc volontiers leurs vivres et toits. La venue de tant de pèlerins honorait la Claraflos, et donc, leurs croyances. Au-delà de la bourgade, un chemin montait dans les collines, longeant une cascade. Sérény et sa grand-mère passèrent les dernières journées à se ressourcer dans cet endroit bucolique.

Quel mode de vie passionnant ils ont ici, je me demande à quel moment notre société s'est détachée de la nature pour devenir une telle folie. Peut-être pourrons-nous rester vivre ici ?

La veille du grand jour, la grand-mère lui attrapa la main et planta ses yeux dans les siens :

« Ma douce, il n'y aura pas de voyage de retour pour moi, s'excusa-t-elle, je n'en ai pas la force, et certainement pas l'envie.

– Je m'en doutais, mamie. J'espère que tu as apprécié cette dernière aventure, et que tu te réjouis de voir la Claraflos une dernière fois.

– Sérény, ce fut le second moment le plus heureux de ma vie, juste après le jour de ta naissance. Je te demanderais de vivre ta vie à fond, de ne pas avoir peur, et de garder une place pour moi dans ton cœur.

– Toujours. »

La jeune fille fondit en larme, dans les bras de cette femme qu'elle aimait et respectait tant. Une fois que ses sanglots se furent taris, sa grand-mère lui raconta une dernière fois les contes de son enfance. Puis Sérény s'endormit dans ses bras, au son d'une douce comptine qui avait bercé ses jeunes années.

Elles se réveillèrent tôt le lendemain, pour monter la colline. La hotte pesait sur les épaules de Sérény mais celle-ci n'en avait cure, car chaque pas les rapprochait de cette destination tant attendue. Arrivées au sommet du monticule, elles purent voir la Claraflos, nichée au fond d'un immense cratère. La fleur, encore refermée par de longs pétales multicolores, se dressait sur plusieurs mètres de hauteur, attendant son heure. Elles passèrent la journée là, assises dans l'herbe, entourées des autres voyageurs, avec qui elles échangèrent à l'occasion.

Le crépuscule arriva enfin. Quand le soleil fut couché, la Claraflos, s'ouvrit devant eux. Les immenses pétales colorés s'écartèrent délicatement, pour retomber doucement sur le sol. Son pistil s'éleva en tortillant, nappé d'une intense couleur orange, se mariant parfaitement avec la couleur pourpre du crépuscule. La célèbre flagrance arriva aux narines des pèlerins. Sérény n'avait rien senti d'aussi bon et puissant. Le parfum ressemblait au mélange de l'odeur d'un champ fleuri par toutes les espèces de plantes du monde, ainsi qu'aux arômes de la forêt profonde. Peu à peu, l'effluve se mua en des senteurs plus personnelles, comme lui avait expliqué sa grand-mère. La jeune femme reconnu l'odeur des livres de son grand-père, celle du bois humide de la cabane où elle rejoignait ses amis, l'atelier de ses parents, l'étang où elle jouait petite... De nombreux souvenirs heureux remontaient à la surface, ce qui fit perler des larmes de joie sur ses joues. Sa grand-mère arborait un air béat elle aussi, et tous restèrent, à voyager intérieurement jusqu'à ce que le soleil disparut à l'horizon.

Le moment tant attendu arriva. Sérény pris la main de sa grand-mère, qui la serra avec fermeté. Éclairé par l'éclat des deux lunes, le pistil de la Claraflos se teinta d'une puissante lueur argentée aux reflets bleus, tout en se gonflant. Lorsque celle-ci devint plus vive qu'un soleil, le pistil se rétracta subitement, et un puissant flash éclaira le cratère. La lumière explosa en une multitude de lucioles bleutées, qui voguèrent au gré du vent. Partout où le pollen atterrirait, le terrain sera fertile pendant de nombreuses générations, produisant fruits et légumes au goût exquis. Les pétales se refermèrent lentement, autour du pistil encore irradiant, et la lueur s'éteignit peu à peu.

« Ce n'est encore que le début, murmura sa grand-mère. Le pollen est magique, Sérény. »

Sérény remarqua les autres voyageurs humer l'air profondément. Elle en fit de même et se sentit alors transportée, elle eut l'impression que ses pieds quittèrent terre. La vallée disparut et fut remplacée par des visions, accompagnées de sons et de senteurs. Elle se voyait elle-même, mais dans d'autres contextes, d'autres réalités. À tour de rôle, elle vit une prêtresse prêcher dans un bâtiment de marbre, une guerrière trancher ses ennemis, une femme véhiculée par une étrange machine de métal, une enfant jouer avec ses frères et sœurs dans un paysage enneigé, et bien d'autres encore. Sérény comprit qu'il s'agissait d'un aperçu de ses réincarnations passées ou futures. Était-ce la vérité ou seulement des illusions provoquées par le pollen de la Claraflos ? Elle s'en moquait bien. Savoir qu'elle existait au delà de sa propre vie la réconforta.

Au bout d'un temps qui lui parut une éternité entière, les rêve laissa de nouveau place à la réalité. Elle flotta un instant parmi les étoiles, puis reprit peu à peu conscience. La vallée réapparut doucement, l'aube commençait à percer. Encore sous le choc, elle se retourna vers sa grand-mère.

Cette dernière reposait sur le flanc de la colline, le visage apaisé et les yeux clos. On pouvait deviner un léger sourire sur ses lèvres.

« Tu l'auras finalement vu" souffla sa petite-fille.

Sérény lui posa un baiser sur le front et resta avec elle tout le reste de journée. Les pèlerins encore présent vinrent présenter leurs hommages. Les villageois l'aidèrent à la transporter, et l'enterrèrent sous un tertre près de la cascade où elles passèrent leurs dernières journées ensemble. 

Sérény n'était pas triste, car elle savait qu'elle la reverrait : dans soixante et onze ans.

La quête de la ClaraflosDonde viven las historias. Descúbrelo ahora