Hell's Sky : Partition amoureuse (#2)

Lux Aeterna

LUNA

Happée par ses iris tout aussi sombres que lui, je reste de longues minutes sans pouvoir esquisser le moindre geste. Même le temps semble avoir arrêté sa course et s'être figé pour contempler la mort s'emparer de son âme. Le silence de la pièce me permettrait presque d'entendre les battements de son cœur, qui ralentissent au fil des minutes. C'est comme le tic-tac d'une pendule qui se prépare à terminer son tour avant d'en entamer un nouveau. Sauf que cette fois-ci, il n'y en aura pas d'autre pour lui. L'arrêt de son cœur est imminent. Il contraste avec ses paupières qui papillonnent à un rythme irrégulier, semblable à celui du Morse, comme s'il tentait dans un dernier S.O.S. d'avertir quiconque pourrait lui venir en aide. Je peux lire la peur parcourir l'espace d'un instant ses prunelles tandis que ses pupilles se dilatent sous l'endolorissement de ses membres. Ce sentiment est cependant très vite remplacé par son désir de vengeance, qui vient voiler peu à peu son regard dans une menace silencieuse. Ce n'est pas terminé. Ça ne fait que commencer Luna, m'avertit-il.

L'écho de ma respiration saccadée trahie le calme apparent. Je suis en réalité tétanisée. Seul le bout de mes doigts tapotent frénétiquement ma cuisse au rythme de Lux Aeterna. Le souffle court, je me penche et attrape d'une main tremblante mon violon et mon archet, qui gisent à ses côtés. J'entame alors le morceau qui trotte dans ma tête depuis que son corps s'est effondré dans un bruit sourd contre le bois écorché. Ce sera la dernière mélodie qui traversera la barrière de ses sens. Ses yeux fixent mes mains et suivent mes gestes, qui se répercutent et atteignent son ouïe fine. C'est comme une ode à la mort. Une symphonie en l'honneur de sa mort.

Un voile carmin recouvre peu à peu le sol, déjà imbibé de tant de péchés. À cet instant, alors que mon archet se balade d'accord en accord, j'ai l'étrange sensation de pouvoir de nouveau respirer. Il faut croire que depuis toujours un seul de nos cœurs détient le pouvoir de battre en présence de l'autre. Aujourd'hui, j'ai décidé que ce serait désormais le mien.

Les harmonies fusent dans la pièce à l'ambiance tamisée, éclairée d'une simple lampe de chevet. Cela rend l'atmosphère plus lugubre encore qu'elle ne l'était déjà auparavant. J'ai souvent imaginé cet instant, celui où la faucheuse s'emparerait de son âme imprégnée d'obscurité. En revanche, je n'avais encore jamais pensé revêtir un jour ce costume, ni même que la main qui lui ôterait la vie serait la mienne. À cette réflexion, mon regard glisse lentement sur la quantité d'hémoglobine que revête désormais le plancher. L'odeur qui en émane et le goût du fer qui s'infiltre dans ma bouche n'altèrent pourtant pas ma concentration. Je m'applique à lui offrir ma meilleure représentation.

Lorsque les dernières notes de Lux Aeterna s'échappent de mon violon et se répandent entre les murs, son corps tressaute une ultime fois, comme s'il applaudissait une dernière fois mes exploits. Il m'a persécuté durant des années. Cette nuit, il souhaitait que je joue pour lui la plus belle des mélodies. J'ai choisi de lui offrir un requiem parfait.