Episode XXXVIII : La Faille - Fin

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-Oh, mince, j'avais tellement hâte de te le dire que je...

-Mais pourquoi uniquement maintenant ? l'interrompis-je brusquement.

-Je sais pas, je... Quand je t'ai rencontré, tu avais l'air si abattue face au sort de Nassu, je ne voulais pas en rajouter. Ça doit faire beaucoup d'un coup, je peux te le réexpliquer si tu veux ?

-Non. (je lui fis signe de ne pas insister.) C'est juste que, j'ai l'impression qu'à chaque fois que j'arrive à comprendre quelque chose, cela s'avère inexact. Que suis-je censée croire ? Qui m'a menti ? Qui m'a dit la vérité ?

-Je ne pense pas qu'il s'agisse de mensonge, il s'agit plutôt de différentes perceptions de la vérité. La preuve : pour certain, nous sommes des Dieux et pour d'autres, nous sommes des insectes. En l'occurrence, pour Morgan, nous sommes des anomalies. Tout ce que nous savons, c'est que nous sommes différents, mais, de façon péjorative ou méliorative, tout le monde l'ignore. Comme nous avons tous perdu les souvenirs de notre première vie, nous sommes autant dans l'ignorance que les autres.

-Pour Neverland, j'avais déjà fait mon choix, mais chaque chose devient claire désormais. À vrai dire, je me doutais que j'étais -d'une manière ou d'une autre- liée à ce monde. J'y irais tôt ou tard. Je préférerais y aller de moi-même plutôt que d'y être forcée par cette stupide tumeur. Mon avis ne change pas facilement, si je dois y aller, j'y irai. Tant pis pour le reste, je suis condamnée.

Alione me regarda d'un air maussade.

-Écoutes Corania, il faut bien que tu comprennes que dés qu'on foulera le sol neverlandais, on ne pourra plus faire marche arrière. Si par miracle, on y arrive, tu ne pourras plus jamais revenir sur Terre et si l'on n'y arrive pas, nous serons perdues. Tu n'as vraiment pas envie d'être comme Joe ? De tourner la page ? D'avancer ? De vivre ? s'écria-t-elle perdue et désespérée.

Je baissai les yeux, désolée. Nous arrêtâmes de parler pendant un long moment, Alione semblait plongée dans ses pensées. Elle me regardait fixement, comme pour essayer de décoder quelque chose. J'avais l'impression qu'elle me comprenait, sans pour autant s'y résigner. Mon sort semblait lui importer plus que je le pensais. Dans une autre vie, peut-être qu'on aurait pu rester ici, ensemble, heureuse pour l'éternité. Cela nous était impossible. Cette chose, censée me maintenir en vie, ce cœur, s'alourdissait quand je voyais Alione si abattue. Je détournais le regard. Je me risquai à l'interrompre :

-Je me demandais, pourquoi les mondes se ressemblent-ils autant ?

Je pus l'entendre prendre une courte inspiration. Elle sortit enfin de ses rêveries :

-J'ai ma propre théorie là-dessus. Cela peut paraître fantaisiste, mais je pense qu'il n'y a qu'un seul monde.

-Comment ? Un seul ? Encore ? dis-je en riant.

-Je suis sérieuse ! répondit-elle en souriant. Je pense que nous sommes plusieurs versions d'un seul et même monde. Après, crois-moi ou non, rien n'a vraiment été prouvé. Mais c'est la seule chose pouvant expliquer cet étrange phénomène. (elle laissa sa phrase longuement en suspends avant de reprendre.) Oh, mais oui ! Mince ! J'avais oublié que j'avais pris des gâteaux dans ma valise !

Elle se tourna lentement vers moi et vu sa mine effrayée, j'en compris que mon humeur se reflétait parfaitement sur mon visage. Elle se pressa de sortir et démarra en trombe, enchaînant avec un sacré sprint.

Mes poings se serrèrent, mes sourcils se froncèrent, alors que je commençais à m'époumoner : "A-LI-ONE !"

Sans crier gare, à ce moment précis, un arc se dessina sur mes lèvres, presqu'insondable. Exactement comme maintenant, ici sur les fleurs, où nous nous remémorions ces moments si forts en émotion. Nous regardions encore les nuages, allongées sur le sol. Il était d'un bleu azur, clair, presque transparent. Une poignée de minutes plus tard, Alione se leva la première avant de me tendre la main, me rappelant cette triste nuit étoilée où... Non, Corania, cesse les pensées inutiles. Cela ressemblait davantage à une invitation de danse, cette fois-ci. Elle rajouta à ce geste digne d'un gentleman, un :

"M'accorderez-vous cette danse ?".

-Bien sûr, très chère ! répondis-je avec la même ferveur.

-On va d'abord attaquer le combat en général, ensuite, on se spécialisera sur ton pouvoir, d'accord ?

Je me relevai donc, en ne quittant pas Alione du regard. J'acquiesçai puis nous nous saluâmes similairement à mon combat avec Gloria, en se penchant.

-Prête ?

-Toujours.

Sur ce mot prononcé avec détermination, mon second combat et mon entraînement s'entama. Il ne fut pas très mémorable et peu glorieux, à croire que je me débrouillais bien mieux avec une épée. Et Alione, comme à son habitude, se moquait ouvertement de moi, tout en me soufflant quelques conseils. Mes coups-de-poing, mes coups de pied, tous semblaient prévisibles pour Alione, si prévisibles que cela remettait sévèrement en question, ma victoire à Atu. Elle refaisait plusieurs fois la même combinaison, ce qui m'aidait énormément à trouver une parade à cette attaque. Elle me criait avec force d'esprit celle-ci :

"Poing droit ! Poing gauche ! Coups de pied au sol puis esquive !".

Avec le temps, le rythme d'Alione accèlera toujours et encore plus. On atteignait un stade où elle n'avait plus à répéter les combinaisons à voix haute, je les connaissais par cœur. J'étais devenue, à ma plus grande surprise quand même agile. Après la première séance, j'étais exténuée. Mes mains et genoux touchaient si souvent la terre brûlée qu'ils en devinrent noirs. Ils étaient décorés de légères éraflures. C'était à peine si j'arrivais à marcher vers le sanctuaire. Je ne parlais pas des courbatures infâmes que j'ai eues à affronter le lendemain matin. Mais, pour je ne sais quelle raison, j'étais comme addicte à cette sensation, un léger sentiment de fierté. Chaque jour, la princesse m'apprenait une nouvelle esquive ou un nouvel enchaînement. Cela m'arriva de montrer fièrement les muscles développés en contractant mon bras, pour rire. Ma "professeure" me faisait toutes les semaines une sorte d'évaluation pour mieux suivre mon évolution.

Au sujet de mon don, ce fut une autre paire de manche, dés mon second jour, je m'exerçai sans les gants. Nous en discutâmes plus d'une fois. Nous nous mîmes d'accord sur trouver une forme à grande échelle et une autre à petite -et plus si on avait le temps. Je connaissais les fonctions de base de ce don : tuer et faire disparaître. Il s'agissait de trouver quelques dérives de ces fonctions, des formes de manifestation. Au tout début, j'essayai de faire comme Alione, mais je n'arrivais pas à cracher une seule flamme. Heureusement, armée d'une grande patience, je pus en ces quelques mois en crées deux dont j'étais assez fière. Elles étaient efficaces et incroyablement utiles. Elles me reflétaient. Elles étaient le fruit d'un entraînement riche et de beaucoup d'efforts. J'avais tellement travaillé et suer afin de développer cette capacité.

Et maintenant, j'y étais, là, regardant une dernière fois le double soleil de la Faille avant de replonger dans la suite de cette histoire, mon histoire, celle de Corania Hollest.

Œil de LuneWhere stories live. Discover now