CHAPITRE 3

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Lundi 26 mai, a été le tournant. La première goutte d'eau dans le vase vide et la dernière journée avant que je ne fane un peu plus chaque jour. Telle une fleur arrachée à la terre. Plus aucun repère, plus aucune source d'approvisionnement. Juste des réserves, des minuscules stocks d'énergie, de sourires, de larmes, me permettant de survivre.

Le goût du café, l'odeur de la rosée, le vent glacé et les gens pressés, tout sonnait comme une banalité. Le stand violet du cordonnier, Monsieur Kabergton, était étrangement absent sur le trottoir et ses volets en ferraille étaient tirés. La factrice, tête baissée, me bouscula, puis continua sa tournée, son vélo à la main. À ma droite, le car scolaire me dépassa, projetant de fines gouttelettes sur mon manteau marron.

Blasée, je me contentai de remonter mon sac sur mon épaule et de penser à ces trois derniers jours. Nous étions partis nous promener derrière le petit étang de Thagore, j'en avais profité pour me réconcilier avec Adam. Ma mère n'avait pu s'empêcher de donner le branle-bas de combat, nous faisant marcher au garde à vous et plier au moindre sifflement.

Dans ce nuage de problème, la seule lueur d'espoir qui me restait était le fait que papa se souvienne encore de moi.

Je tournai au bout de la rue et rencontrai une file de voitures qui s'étendait sur une bonne distance. Les travaux au rond point bloquaient la circulation. D'un pas nonchalant, je les dépassais, tout en élimant le bout de mon jeans qui trainait légèrement sur le sol humide. Me rendre à l'école ne m'enchantait pas plus que ça, mais l'ambiance étouffante qui régnait au sein de notre famille me poussait à fuir la maison le plus souvent possible. Surtout depuis que papa ne travaillait plus à plein temps. J'aurais aimé dire que je me foutais de ça aussi, mais ce n'était pas vrai.

Le bâtiment principal du lycée n'était pas vraiment avenant. Comme toutes les constructions de cette ville, il était en pierre grise, se mêlant ainsi à la couleur du ciel pour ne faire plus qu'un. A quelques endroits, il s'émiettait, laissant d'énormes trous de craie blanche.

Dans la cour, les élèves discutaient, ils avaient l'air heureux de se retrouver. Je me frayai un chemin parmi eux, esquivant les nuages de cigarette et les chewing-gums crachés à terre. Je soupirais, puis me faufilais à l'intérieur du bâtiment, laissant entrer un peu d'air avec moi, avant que la porte ne se referme violemment et fasse sursauter un garçon appuyé sur une poubelle. Je m'arrêtai sur le seuil, balayai le haul du regard, aucune trace d'Anna. Je pris une grande inspiration, comme pour éviter de boire la tasse en plongeant dans la foule, puis me dirigeais vers mon premier cours de la journée.

*

Si les cours étaient longs, le lundi était interminable. La cloche indiqua la fin de l'intercours et également mon dernier cours de la journée. Encore dans les toilettes, je venais de me laver les mains et m'observait depuis quelques secondes dans le miroir d'un des lavabos. Mes épaules s'affaissaient au fur et à mesure que je me détaillais. J'osai me fixer, plongeant mon regard dans mes yeux gris bleutés. Ma vue s'embua. J'inspirai de nouveau, hochai la tête et fermai les yeux un court instant.

— Qu'est ce que tu fais ? Je sursautais et aperçus Anna au coin de la porte. On y va ? reprit-elle.

— J'arrive tout de suite, soupirais-je avant de me sécher les mains sur mon pantalon.

Anna semblait moins contrariée qu'à la pause du midi. Je n'en n'avais pas vraiment compris la raison, mais je crois qu'il s'agissait d'une mauvaise note en cours de lettres.

Le pas lourd, je marchais dans ses pas, avec qu'une chose en tête, prendre l'air. Soudainement, elle se retourna vers moi, l'air grave. Ne comprenant pas sa mine dépravée, je fronçais les soucis. Elle me saisit par la manche et m'emmena sur le côté, près des casiers.

— Quoi ? demandais-je en haussant les mains.

— Tyler ! murmura-t-elle, les yeux exorbités. Je la regardais toujours avec le même regard tentant de lui dire que je ne comprenais pas. Son regard à croiser le mien ! enchaîna-t-elle sur le même ton, tout en remuant son doigt de ses yeux jusqu'aux miens.

— Et c'est pour ça que tu es dans cet état-là ? Elle ne répondit pas et se contenta d'hocher la tête positivement à plusieurs reprises.

— Reprends toi, ça va aller ! soufflais-je amusée. On dirait que tu vas te liquéfier.

— Ouais mais tu te rends compte, ça a duré une éternité, au moins cinq secondes.

— Incroyable ! ironisais-je.

— D'ailleurs la mère de Simon est morte, me dit-elle en cherchant quelqu'un dans la foule.

Mon coeur rata une marche.

La mère de Simon. Madame Kabergton. Morte.

Mon cœur se rattrapa.

Simon. Il pleurait son frère et maintenant sa mère. Je visualisais parfaitement; l'absence, la perte, le vide.

— Comment ? Parvenais-je à prononcer du bout des lèvres.

Anna se retourna vers moi, elle n'avait pas l'air chagrinée.

— Elle s'est suicidée, prononça-t-elle.

Le dernier mot était violent. Il avait été abandonné, mon cœur me démangea, laissait seul, sa mère avait fait le choix d'abandonner son enfant, j'avalai difficilement ma salive, le seul qui lui restait.

— Ah ! D'accord.

Je ne savais pas quoi dire, j'étais désabusée. Que doit-on dire dans ces moments-là ? Pleurer ? Se fâcher ? Ou au contraire, se taire ? Je repris ma marche d'un pas un peu plus soutenu. Durant le trajet aucune de nous ne parlait, j'essayais de me focaliser sur autre chose que mon cœur qui me démangeait, rongé par la culpabilité. Mes pensées éparpillées dans chaque coin de ma tête ne pensaient qu'à Simon. Je devais le voir, je ne ferai pas deux fois la même erreur.

— Tu as vu Simon aujourd'hui ? demandais-je en m'arrêtant.

Un voile de tristesse nappa ses yeux, je compris. Anna n'était pas insensible, elle érigeait une barrière entre sa conscience et ses émotions.

— Lyse, murmura-t-elle.

Anna continua d'avancer et je vis ses épaules s'affaisser, alourdies par l'ambiance pesante qui régnait autour de nous. Mon amie s'arrêta et fit durer le silence quelques instants tout en se retournant vers moi.

— Sa mère est décédée le deuxième jour où tu es partie. Ils se sont empressés de l'enterrer et de faire leur bagages.

— Comment ça leur bagage ?

Je repris la marche, elle fis de même et ajouta:

— Tu sais, leur maison leur rappelait trop de souvenirs. Je les comprends, perdre deux proches dans la même ville et de façon catastrophique, c'est pas... Elle déglutit. C'est pas cool.

— Et ça ne te fait rien ? Je veux dire c'est Simon... On passait nos après-midis avec lui.

— On lui parlait plus trop, on pouvait pas dire que l'on se connaissait encore.

Elle haussa les épaules, je ne répondis rien. J'aurais voulu qu'elle me fasse part de sa tristesse. D'une certaine façon, j'aurais aimé savoir que je n'étais pas la seule à avoir des remords. Je me serais sentie moins ridicule. Nous marchions en silence vers la fontaine, Adam n'était pas encore arrivé.

— Pourquoi tu réagis comme ça ?

Je fis mine de ne pas avoir entendu, je ne voulais pas répondre, j'avais peur de ne pas réussir à répondre, peur de ne pas réussir à formuler ce que je ressens ou même peur de ne pas être comprise. Mais elle reposa la question, je ne dis qu'un mot, "Mamili" et étrangement elle comprit et n'insista pas. Ma grand-mère n'était qu'un prétexte pour être tranquille car à cet instant je ne savais pas ce que je ressentais.

Mon frère arriva d'un pas énergique et avant de nous séparer, Anna se pencha vers moi et me chuchota un "ça va aller ne t'inquiète pas" tout en me frottant le dos. Je lui souris, tachant de faire bonne figure, même si c'était raté.

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⏰ Dernière mise à jour : May 31, 2022 ⏰

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Noyée la tête hors de l'eauOù les histoires vivent. Découvrez maintenant