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un 3 mars

   les jours se succédaient, et se ressemblaient terriblement. des mois entiers avaient passé depuis l'été, et pourtant, le souvenir ne la quittait pas. elle revoyait encore l'étendue verte parsemée de pâquerettes, les fleurs mauves ayant envahi la façade de la maison. elle entendait encore les cigales chanter dans la nuit, elle entendait encore jeongguk appeler son nom. à la simple pensée du garçon, les larmes lui montèrent aux yeux. ses lèvres formèrent un sourire d'amertume. il lui manquait, plus que les mots ne pouvaient en témoigner.
les choses avaient changé entre eux comme les fleurs fanant à l'arrivée du froid. elle ne savait pas exactement à quel moment le tournant avait été pris, ni ce qui en avait été la cause. le regret avait trouvé en son cœur un foyer, et une certaine langueur prenait possession de son corps. elle dépérissait à vue d'œil...
jeongguk cherchait à l'éviter coûte que coûte, c'était devenu évident. ils ne passaient plus de temps ensemble, chacun voyait taehyung de son côté, et si ce dernier insistait pour qu'ils traînent tous les trois comme au bon vieux temps, jeongguk trouvait un prétexte pour ne pas les joindre. pendant le trajet jusqu'à la faculté, jeongguk restait silencieux, n'ouvrant la bouche que lorsque l'on s'adressait à lui. quand elle le croisait dans les couloirs entre deux cours, il baissait le regard. elle avait essayé un soir d'engager la conversation, de lui demander ce qu'il avait bien pu se passer pour qu'il l'ignore de la sorte après tout ce qu'ils avaient vécu et le lien qu'ils avaient tissé, alors qu'ils s'étaient retrouvés seuls sur le parking à attendre le blond. jeongguk avait réussi à s'extirper de la situation en lui lançant un il ne se passe rien, je ne suis pas dans mon assiette ces temps-ci. jamais elle n'aurait imaginé qu'il puisse lui infliger une telle peine, une douleur si aigüe qu'elle lui faisait perdre le goût des choses. la vie avait soudainement moins d'importance.

le ciel était couvert, la pluie n'allait sûrement pas tarder à s'abattre sur la petite bourgade d'un air aujourd'hui maussade. ses pieds la portèrent jusqu'à la piste cyclable, là où elle devait rencontrer taehyung. les quelques minutes d'avance sur l'heure décidée lui permirent d'admirer l'horizon. elle s'assit sur le banc qui l'avait vu tant de fois accompagnée des deux garçons, des promesses lâchées dans le vent, des sourires aux lèvres défiant la clarté des étoiles dans l'obscurité. il faisait froid, le pull à col roulé qu'elle portait peinait à faire barrière à l'air piquant sa peau, elle frissonnait. son pied tapotait le parterre humide, et à chaque mouvement redondant, son esprit se détachait un peu plus du présent.
taehyung, qui n'était que très rarement à l'heure, vint au rendez-vous avec retard. il la trouva en train de faire les cents pas, ses bras noués autour d'elle-même.
"hey, ça va ?! désolé pour le retard, je trouvais pas mes clés !"
elle lui sourit malgré le froid ayant engourdi son visage découvert, son regard s'attardant sur la main masculine posée sur son épaule.
"c'est rien, t'en fais pas..."
leurs yeux finirent par se rejoindre dans le silence de ce jour de mars. le regard de taehyung était bienveillant, chaud et réconfortant, il n'en fallait pas plus pour que l'envie de pleurer toutes les larmes étouffées de son être ne s'invite. le temps d'un souffle, elle revit jeongguk et ses yeux bruns dans lesquels elle se noyait encore et encore, leur douceur l'enveloppant comme l'eau tiède de la mer un après-midi. mais jeongguk l'avait laissée, la privant ainsi de la personne qu'elle désirait le plus ici-bas.
"si, je m'en fais pour toi justement, tu n'as pas l'air bien, depuis la fin de l'été... on dirait que tu... sombres"
taehyung la ramena à la piste cyclable, au froid s'attaquant à sa chair, à l'absence omniprésente de jeongguk. à la réalité d'aujourd'hui qu'elle devait affronter. un léger soupir s'échappa de ses lèvres gercées. sombrer, c'était le juste terme. elle fût décontenancée par le regard insistant que lui lançait le garçon. elle savait qu'il s'inquiétait pour elle à la manière dont il prenait de ses nouvelles, en appelant plus souvent qu'il avait l'habitude de le faire, en passant chez elle à des heures inhabituelles, en la prenant dans ses bras dès qu'il le pouvait. son état devait vraiment être préoccupant pour qu'il lui prête autant d'attention, c'était ce qu'elle pensait lorsque les gestes du blond la surprenaient...
   "c'est un peu difficile pour moi en ce moment, mais bon, je tiens le coup ! je sais que ça ira, tôt ou tard..."
   "ahh toi aussi... décidément ça marche pas fort ces derniers temps, d'abord jeongguk et maintenant toi !"
   "jeon ? qu'est-ce qu'il a ?"
taehyung, les sourcils haussés et la bouche entrouverte, marqua un temps d'arrêt, surpris par la question qu'elle venait de lui poser.
   "quoi, tu n'es pas au courant ?! les parents de jeon ont divorcé, ça fait à peu près un mois et demi— ça n'allait pas du tout entre eux, et apparemment ça s'est détérioré pendant les vacances d'été, ils pouvaient plus se voir en peinture. on savait que ça allait arrivé non... j'arrive pas à croire qu'il ne te l'ait pas dit."
les mots voltigeaient dans sa tête, le cours du temps s'était suspendu. elle ressentait beaucoup de peine pour cette famille qu'elle aimait sincèrement. des souvenirs heureux revinrent, moments qu'elle et ses parents avaient partagés avec les jeon. leur mariage avait volé en éclat, après une vingtaine d'années de vie commune, et un fils. jeongguk devait être effondré, et même s'il s'était distancié, il était le seul auquel elle pensait.
"faut que j'y aille tae, excuse moi..."
elle esquissa un sourire et repartit vers la ville avant qu'il ne puisse dire quoique ce soit. avant qu'il ne se décide enfin à dire les quelques mots dormant sur sa langue depuis bien trop longtemps déjà... taehyung resta là, ses jambes comme enracinées dans le sol, les yeux fixés sur sa silhouette alors qu'elle s'éloignait de leur chère piste cyclable.

avant minuit.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant