Chapitre 15 - La régression finale

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Richard était allongé dans son lit et essayait de remettre de l'ordre dans sa tête. Ce qui lui donnait le plus de problèmes était ce mélange confus entre ses sentiments et ses connaissances qui semblait surgir du néant. Il sentait qu'il devait choisir entre deux types de pensées. Son esprit analysait l'agréable sensation qui l'entourait. C'était agréable d'être allongé dans son berceau, emmailloté dans ses couches, bien à l'abri dans sa grenouillère blanche. Il aimait sentir ses pieds bien au chaud dans les chaussons de la grenouillère. Il adorait la douceur des coussins qui l'entourait. "Je suis peut être mouillé" se demanda-t-il, ne sachant pas s'il était vraiment. Soudainement le flux de sa pensée suivit un autre chemin. Il réalisa que cette situation était complètement folle. Une vague de honte l'envahit. "Pourquoi je suis allongé ici ? J'ai seize ans et je peux me prendre en charge. Je dois devenir cinglé." L'idée de devenir fou l'effraya. Son esprit essaya de remettre en ordre cet immense puzzle qu'était devenu sa tête. "Je vais me concentrer et penser à ce que j'étais avant que tout commence. Je peux y arriver."

Richard rassembla son esprit et essaya de se revoir avant qu'il ne soit dans son berceau. "Bon, je suis sur que j'ai seize ans. J'ai vécu au moins seize ans. Je suis donc un adolescent. Oui seize ans, je suis vivant depuis seize ans. Seize longues années, seize longs jouets...
Oh non, où est mon nounours ? Ah, je le vois." Il le serra fort contre lui.

D'un seul coup, il réalisa jusqu'où le vagabondage de son esprit l'avait entraîné. "Qu'est-ce que je suis en train de faire. Il faut que je revienne à moi. Bon, quel âge j'ai ? J'ai, heu, j'ai, heu je sais plus. Je ne me rappelle même plus de mon âge. C'est un nombre, un grand nombre, pas un petit. C'est pas un chiffre. Plus de dix. C'est quoi après dix ? Je sais plus."

Richard essaya de penser à un nombre important. Plus il luttait, plus il paniquait. "Oh non, je ne peux tout de même pas oublier les chiffres ! Je dois me rappeler de quelque chose. Je peux me souvenir du foot. Je sais que je ne peux pas oublier le foot. Non, je sais que je suis un héros."

Il esperait qu'en se rappelant des règles du foot, tout rentrerait dans l'ordre. Il se revoyait en train de courir pour récuperer une passe et se ruer vers les buts.

"Rattrape la balle et cours comme si tu avais le diable aux trousses. Va plus loin que les autres. Ils ne peuvent pas me rattraper. Je suis le plus fort, le plus rapide. Richard cours le plus vite. Richard peut courir. Personne ne peut me rattraper. C'est marrant de courir. C'est encore plus marrant de courir très vite pour rattraper une balle."

Il sentait qu'il allait encore perdre cette partie de sa vie, que le foot n'était plus qu'un lointain souvenir. "Courir derrière le ballon, courir derrière la balle, oui je peux courir derrière une balle. Je peux jouer avec mes pieds. Voire mes pieds, je vois mes pieds. Je peux les toucher." Richard remua ses pieds et les ramena vers lui. Ses pensées étaient tournées vers eux. Il était heureux de pourvoir les toucher. Sentir bouger ses doigts de pieds, oui jouer avec. Il rigolait pleinement.
"Bouche, ma bouche. Sucer pied avec bouche. Peux pas mettre pieds dans bouche. Seul langue. C'est bon."

Richard suçait ses doigts de pieds a travers sa grenouillère.
Il réalisa que ce qu'il faisait était vraiment éloigné du début de son introspection. C'était dur de se souvenir pourquoi il luttait. Des pans entiers de sa mémoire devenaient de plus en plus embrumés. Il essayait de toutes ses forces de se souvenir de tout.
Mais il ne trouva que du vide, le néant. Plus de mémoire FINI !
LE VIDE ! "Tout est parti, mais quoi ? je sais même plus ce qui est parti, mais ça l'est." Son esprit était vide, effacé.
Son âge ? parti. Seul PETIT et GRAND avaient encore une signification.
Richard est petit. Maman est grand. Papa est grand. Steven est grand. Lui c'est Richard, "Oui c'est mon nom Richard." pensa-t-il.

Le foot avait disparu, mais pas ses pieds. Il pouvait les sentir et jouer avec, mais le football avait disparu de son esprit.
"Tout part." Pensa t'il mais il ne le comprenait plus. "Je sais qu'il m'arrive quelque chose, mais je ne sais pas quoi. Aidez moi, j'ai besoin d'aide."

Il n'avait plus d'emprise sur les événements qui lui arrivaient.
Il se voyait assis dans un bac a sable, regardant les grains lui glisser entre ses doigts. Vainement il essaya de penser à autre chose.
"Ecole", tiens ce mot lui rappelait une histoire : "Danny va à l'école." Sa mère lui lisait souvent ce livre sur l'école. C'est quoi l'école ?

Il aimait bien les voitures et les camions, mais pour lui ils ne ressemblaient plus qu'à des jouets. Même l'image de sa merveilleuse Linda n'évoquait plus que sa baby-sitter qui le cajolait.

Etrangement tout ne semblait pas perdu. Il connaissait la maison et savait jusqu'où il pouvait aller. Les coins et recoins de la maison ou il pouvait ramper et se cacher restaient ancré en lui. Même les formes et les couleurs lui semblèrent merveilleuse. "Chambr" Dit-il.
Il regarda à travers la fenêtre. "Dehors" c'est pas ici. Jouer dehors c'est pas ici. Ici jouer. Sa poussette était là. La voiture de papa et maman aussi. Allez faire les courses avec maman. Ce n'était plus des mots, mais des images et des sensations. Courir, marcher, ramper, toucher l'herbe, toucher les arbres, manger sa bouillie. Tout ça était plus que des images et des sensations.

Il voulait des mots. Il se battait pour les retrouver. Seul quelques mots étaient encore la. Voiture, Maison, Maman, Papa, Bébé, Faim, Grand, Moi.
Il en connaissait d'autre mais ne pouvait pas les associer à une image.
Soudain il ressentit quelque chose de neuf. Il avait faim et soif.
Il voulait quitter son berceau. Il voulait le faire savoir à sa maman.
Mais comment le faire, ça c'était vraiment le grand mystère. Il fallait faire du bruit, mais comment. Il n'y a pas de mots, mais que des besoins. Il trouva la réponse : il pleura de plus en plus fort.

"Qu'est-ce qui se passe mon bébé ?" Sa mère vit que Richard faisait d'immense effort pour lui dire quelque chose. "Dis-moi " dit elle.
Aucun mot ne vint, seuls des pleurs. Ce qu'avait dit le psy était arrivé; il avait atteind le stade ultime. Richard ne savait plus parler.
"Qu'as-tu mon bébé ? Tu es mouillé ?" sa mère lui dégrafa sa grenouillère, enleva sa culotte en plastique et tâta les couches.
Elles étaient complètement mouillées. Ce qu'elle ne pouvait pas voir, était l'érection de son "petit garçon". "Bien, je change ta couche et tu iras mieux." Mais Richard continua à pleurer de plus belle. Ca lui était égal d'être trempé, ce qu'il voulait c'était son, son. Il avait l'image de l'objet, mais pas son nom. Soudain le mot revint de loin: "Veu bibron" cria Richard entre ses sanglots.
"Ho, c'est bien, tu parles. Reste bien sage, maman revient tout de suite avec ton biberon." Richard ne comprit pas ce que sa mère lui disait. Il ne retient que deux mots : MAMAN et BIBERON. Rapidement sa mère revint, mit Richard sur ses genoux. Richard était aux anges.
Il serra sa mère contre lui. Sa maman.

Richard mon frèreWhere stories live. Discover now