44 - Jake - La facture

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-Résumons, propose Khaleb. 


Il s'est assis avec nonchalance sur la moquette de l'hôtel, comme s'il avait lui-même fait ce choix. Comme s'il ne s'était pas réveillé face contre terre il y a quelques instants, comme s'il venait de réaliser que finalement, le sol était aussi confortable que n'importe quel siège, et un endroit parfaitement convenable où poser ses fesses pour faire un contre-rendu de notre voyage surnaturel.

Pour ma part, ma boite crânienne menace d'exploser à chaque mouvement, et je crois que je vais vomir dès que mon cerveau décide de rejouer les quelques secondes ou j'ai vu le fantôme de ma mère.

Mais je me force à stopper l'implacable film de nos retrouvailles morbides, je commande à ma douleur de se taire et à mes jambes de me relever, ce qu'elles font en protestant.

Chaque chose en son temps. Je me promets de creuser la question après avoir sauvé Evie. Rien d'autre ne compte pour l'instant, et je ne peux pas réfléchir tant que je ne l'aurais pas a mes côtés. Ou d'une manière plus sûr encore, dans mes bras. Après tout ce que j'ai encore découvert sur elle dans ses souvenirs, je ne laisserais rien d'aussi traumatisant lui arriver encore.


-De la poussière de roche ocre, continue Khaleb sans esquisser le moindre geste pour se relever bien au contraire, il s'avachit sur un coude comme s'il était dans son propre lit. Un endroit vide, accidenté, beaucoup de relief, éloigné de la côte. Un climat qui rappelle 

-Le désert ! dis-je dans un souffle quand les pièces du puzzle s'emboitent devant mes yeux. 


J'empoigne ma veste et mes clefs. 

-C'est juste à côté, j'ajoute en fonçant tête bêche vers la porte d'entrée. 

Pas une minute à perdre. 

-Gamin attends !

-Attendre quoi ? je rugis. 


Je ne pense déjà plus qu'au désert et au meilleur itinéraire pour m'y rendre. Je sais qu'il borde la sortie ouest de Ford-Coast. Des vastes plaines de roches sédimentés qui s'étendent jusqu'au frontière de la région des murmures. Un lieu dépeuplé ou personne ne s'aventure jamais, pour deux raisons : il n'y a rien à voir et c'est relativement hostile. Je n'y ai moi-même jamais mis les pieds. Et même si le désert est grand et notre piste mince, ce n'est pas une raison pour ne pas la suivre, surtout après tout ce qu'on a fait pour la déterrer.

Khaleb soupire avant de se relever. Ses yeux sont graves et il semble réfléchir à toute vitesse en me détaillant, l'air de se demander si j'ai perdu la tête ou si j'ai un plan. 


-Il faut qu'on fasse des recherches, tranche t'il finalement. Il nous faut un lieu plus précis que "le désert".

-Pas b'soin d'être trois pour faire ça, tu t'en occupes, dis-je en pointant un index autoritaire vers lui, avant de désigner mon torse du pouce. Moi j'prends d'l'avance en m'rendant sur place. Tu contactes dés qu't'as trouvé que'que-chose.


Il m'observe un instant, interdit, surpris par mon ton peut-être. 

-Tu serais pas en train de me donner des ordres des fois ? demande t'il avant d'éclater d'un rire tonitruant. 

-Ça va. Fais c'que j'te dit pour une fois.

-D'accord, abdique-t-il quand il a reprit son souffle. Mais c'est seulement parce que c'est ce que j'aurais proposé moi aussi. T'es trop buté pour que j'ai envie d'essayer de te faire assoir. Ou pire ! Réfléchir. 


Je fronce les sourcils sous l'insulte, mais choisis de garder mes forces et mon venin pour plus tard. 


-Maureen, concentrons les recherches sur le désert tu veux bien ? Les jumeaux. (Il s'arrête et cherche les muses du regard) Où sont les jumeaux ?

-Ils sont partit, réponds l'hôtesse en sortant la tête de son écran. Ils ont dit que vous finiriez par vous réveillez mais qu'ils avaient d'autre chat à fouetter. Et ils nous ont laissé une facture faramineuse. 


Khaleb peste et attrape la feuille volante que lui temps Maureen. Mais je suis assailli par un doute. 


-On est rester dans les vapes longtemps ?

-Mais quelle bande d'escroc ! rugit Khaleb en agitant la facture dans tous les sens. Pour qui ils se prennent ? Et c'est quoi ces suppléments ? "Option: gabarit encombrants et poids lourd" ?   Comment oses t'ils ? Si tu cherches dans un dictionnaire au mot svelte tu tombera sur ma photo. 

Il me jauge du regard avant de reprendre plus bas. 

-Dans ce cas-là qu'ils aient la délicatesse de préciser "pour une personne". 

Je lève les yeux au ciel et réitère ma question plus fort. 

-On est rester dans les vapes longtemps ?

-Le tour des jumeaux n'a duré que quelques secondes, m'apprend Maureen. 


Je ne l'ai jamais vu démontrer autant d'émotion et accomplir autant de mouvement désordonnées ressemblant a des mimes que pendant qu'elle nous explique le reste. 


-Ils tenaient leurs mains prêt de vos têtes, comme ça. Leurs yeux se sont révulsés. J'ai cru que toute la pièce autour de vous tremblait et que vous alliez finir démembré. Quand vous avez arrêter de crier et de pleurer, vous êtes tombés comme des pantins au sol. 


L'hôtesse s'autorise une légère grimace de dégout, pendant un quart de seconde, avant que ses traits ne redeviennent aussi impassibles que d'ordinaire. Je guette du coin de l'œil Khaleb qui s'est figé. Mais il se reprends bien vite et ricane avec décontraction. 


-Tu as mal vu ma belle. C'est clair que tout ça t'a beaucoup impressionné, et que tu as dû avoir peur, mais on a pas du tout crié.

-Ni pleuré, crois-je bon de rajouter.

-Je vois, articule-t-elle du bout de ses lèvres pincées. Si vous le dites. Après ça, les jumeaux sont partis. C'était il y a une heure à peu près.

-Bordel ! 


Je reprends mon plan l'a ou je l'avais laissé et me jette sur la porte d'entrée.

Une heure. 

Une heure !

Qui sait ce qui a pu se passer durant tout ce temps. 


-Gamin, attrape ! 

Khaleb me lance un GPS qui a vu de meilleurs jours

-Je t'appelle quand j'ai du nouveau, conclut-il.


Je hoche gravement la tête vers mon frangin et il en fait de même. Je l'entends se remettre au boulot quand je claque la porte derrière moi. 



De l'autre côté de la rue, la titine fait triste mine Elle qui est toujours si bien entretenue d'ordinaire. Qu'elle ironie que ce soit le jour où j'ai le plus besoin d'elle qu'elle semble prête à rendre l'âme dès le premier kilomètre. 

Elle penche dangereusement d'un côté, et je ne crois pas que ce soit seulement parce que Khaleb a cru judicieux de la garer a cheval sur un trottoir. Je donne un coup de ranger timide dans le pneu qui me réponds par un couinement plaintif. J'étouffe un juron. Je m'installe au volant alors que tout l'habitacle semble retenir son souffle, comme s'il n'était pas sûr de supporter mon poids. Je force tant bien que mal sur la portière déformée jusqu'à ce qu'elle coopère et se ferme, plus ou moins. Je réajuste les retro pour essayer d'y voir quelque chose a travers les éclats de verre, et démarre. 

J'aimerais pouvoir me payer le luxe de la réviser complétement, mais le temps joue contre moi. Pourvue qu'elle tienne bon. Elle comme Evie. 


-Tenez bon.

Les fils de Sammaël [terminé]Where stories live. Discover now