5/ De l'intérêt d'être méfiant

1.6K 169 15
                                    

Pas le temps de tergiverser sur son sourire en coin, ses cheveux savamment emmêlés, son corps d'athlète ou ses yeux sombres. J'ai un cours. Je claque la porte du casier et je me précipite vers la salle comme toute élève timide l'aurait fait dans ce cas précis. Je ne vais pas jusqu'à rougir jusqu'aux oreilles. Je ne sais pas faire. Il y a des limites à mon jeu d'acteur. La capacité à faire réagir mon métabolisme comme je l'entends en est une.

Et, je ne suis pas Max Lindel. Ma carnation est mate, car je suis issue d'une longue lignée de mélange sanguins divers. Lorsque je rougis – car oui, ça m'arrive - mes joues se colorent légèrement. Point barre. Pas de spectaculaire transformation. C'est déjà ça. J'ai déjà Big Data, faut pas pousser.

Promptement assise en histoire, j'ai la surprise de voir arriver mon inconnu. Je reste imperturbable à grand peine. Mais l'entrée en matière du professeur capte mon attention, et je l'oublie instantanément. Mon cerveau a soif de données, même s'il se révèle rapidement que les données en question sont déjà connues. En règle générale, depuis la veille je n'ai rien appris de neuf et je m'ennuie ferme. Mais l'espoir fait vivre. J'ai maths juste après.

Assis deux places derrière moi, je peux sentir son regard sur mon dos. Il a des yeux laser ou quoi ? Et qu'est-ce qu'il veut ? À voir les sourires niais qui ont fleuri sur les visages, tant féminins que masculins d'ailleurs, quand il est entré, et les petits signes qu'il a fait, mine de rien, il est à ranger dans la catégorie des tombeurs. Ce qui n'est pas le cas de tous les beaux gosses. Parfois, le beau gosse se contente d'être. C'est reposant. Le tombeur lui, profite. C'est fatigant.

Dès la cloche sonnée, je sors comme une fusée, direction la classe de maths. Je ne veux surtout pas être en retard. Je repère l'inoffensif Max Lindel devant moi. Lui aussi est pressé de rejoindre ce même cours manifestement. Il faut passer à l'attaque.

— Il est bien le prof de maths ?

Voix innocente. Question simple. Après tout, il s'est présenté en premier. Ça n'est pas pour que je l'ignore.

— Ou...Oui. Oui. Il est un peu dur, mais si tu travailles, il ne te prendra pas la tête. Il n'aime pas les tire-au-flanc, répond-il, plus rouge qu'une pivoine.

— Ok. Merci.

— Tu aimes les maths ? ose-t-il avec une tonalité pleine d'espoir.

La question mérite un temps de réflexion. Si je réponds par l'affirmative, il risque de penser que je suis une tronche. Ce qui est loin de m'aller. Être une tronche est le stade juste avant d'être une surdouée. C'est risqué comme situation. Mais si je réponds négativement, il risque de me laisser tomber comme une vieille chaussette, parce que je ne suis pas assez intéressante pour lui. À moins qu'il ait le profil « chevalier servant », et dans ce cas, le coup de la fille un peu à la traîne en maths peut marquer des points.

— J'aime bien, mais je ne suis pas super forte. J'ai des difficultés avec certains concepts... en géométrie, en particulier.

La vilaine menteuse ! La géométrie est ma deuxième matière préférée. La première étant le calcul. Après ces deux-là vient dans le désordre, toutes les matières scientifiques et numériques, le bricolage, les matières littéraires et historiques. Les langues... Ah ! Les langues ! Apprendre de nouveaux idiomes. Tenter d'en capter les subtilités... sans aucune nécessité, sinon le plaisir de savoir dire mathématique en polonais (matematyczny pour ceux que ça intéresse) - langue que je suis en train d'étudier depuis quelques semaines à mes heures perdues – ou en japonais (Sūgaku ) - langue sur laquelle j'avais passé mon été – c'était divin !

Le cœur du problèmeWhere stories live. Discover now