33/ Ne pas paniquer

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Toujours pas de Greenwater à l'horizon. Ça devient inquiétant. J'essaye de me renseigner auprès de personnes qui se sont comportées comme des amis avec Kira et Matthew. On ne me répond pas. Au mieux, on m'ignore, mais le plus souvent, on me lance un « dégage taré ! ».

J'aimerais comprendre comment dix jours de vacances ont pu transformer l'indifférence que l'on avait pour moi en cette méchanceté froide et vindicative. Est-ce simplement la disparition de Kira et Matthew qui a libéré les vrais sentiments de tous ces lycéens ? Ou est-ce autre chose ?

Comme si j'avais le temps de me préoccuper de ça ? Entre mon inquiétude pour Kira et Matthew et les menaces d'Irina, j'ai déjà bien assez à penser.

Je file vers la salle 6 pour y déposer le projet bidon pour les olympiades. Il faut tout installer pour faire croire que j'ai travaillé sur ce projet dans cette pièce. Comme aucune autre personne n'a réellement mis la main à la pâte, je suis tranquille, personne ne viendra dire le contraire.

Un doute s'insinue en moi lorsque je passe devant la bibliothèque. Endroit plutôt calme et vide en temps ordinaire, surtout à une heure aussi matinale, je suis étonnée d'y voir un petit attroupement autour des ordinateurs. Même le bibliothécaire fait partie du lot.

Je fais un pas de côté pour tenter de voir ce qu'ils regardent tous. Puis j'entends la voix. Ma voix. Alors je n'ai plus besoin de m'approcher pour savoir. Ce que tout le monde regarde, c'est moi. Moi, bien sûr. Moi et Big Data en action. Moi et Kira au centre commercial. Quelqu'un nous a filmé. Quelqu'un a mis la vidéo en ligne et a envoyé le lien à toute l'école.

Je fais demi-tour. Pas besoin de rester plus longtemps. Je sais maintenant pourquoi Kira et Matthew ne sont pas là. Je sais pourquoi je suis devenue une « tarée » pour tout le monde. Je sais, parce que je me souviens parfaitement de ce que j'ai dit à Kira à ce moment-là.

Lorsque j'arrive dans le couloir principal pour sortir, Irina surgit de je ne sais où. Le visage ricanant. Elle a sa revanche. C'est sans doute elle, ou l'une de ses copines, qui a filmé. J'ai envie de la frapper. Je me contente de la bousculer pour passer, sans même préoccuper de ce qu'elle me demande. Je m'en fiche. Tout ça n'a plus d'importance. Je suis grillée. Morte. KO debout comme dirait mon père.

D'ailleurs, il est là. À l'entrée. Sa carcasse parait encore plus immense à côté du proviseur, qui, lui, ne semble pas très à l'aise. Mon père à l'air encore plus furieux que lorsque je l'ai quitté tout à l'heure. Je ne sais pas encore quoi penser.

M. Thorn lui a-t-il montré la vidéo ? Est-il en colère parce que ça commence à faire beaucoup. Que je sois surdouée passe, mais que je sois amoureuse d'une autre fille ? Qu'en pense-t-il en réalité ? Nous n'avons jamais eu ce genre de conversation. Je crois que mes parents n'ont jamais imaginé que je puisse nourrir des sentiments amoureux pour qui que ce soit... Déjà de l'amitié leur apparaissait miraculeux.

Il croise mon regard, et je comprends, avec un certain soulagement, que son mécontentement n'est pas provoqué par ce qu'il a vu. Son visage affiche tout le mépris qu'il ressent pour l'établissement. Tous les élèves qui passent à côté de lui prennent en pleine face ce sentiment de dégoût qu'il a au bord des lèvres.

Il ne dit rien, et moi non plus. Il se contente de poser sa main sur mon épaule. Il m'accompagne ensuite à l'extérieur aussi droit et fier que d'habitude. Puis, il se retourne et assène

— Ne croyez pas que cela soit terminée, M. Thorn. Il me semble avoir entendu dire qu'un élève avait trouvé la mort entre vos murs l'an dernier. Je suis sûr qu'en creusant un peu, je pourrai trouver d'autres affaires intéressantes sur votre établissement. Avertissez vos parents d'élèves si bien pensants. Je n'en ai pas fini avec leur immonde progéniture.

Il avait parlé suffisamment fort pour que les rares parents encore présents, entendent clairement. Ceux qui n'étaient au courant de rien, n'allaient pas tarder à l'être. Je n'ai jamais été aussi fière de mon père. Il a toujours été un soutien indéfectible pour moi, mais là... C'est quasi chevaleresque.

Le cœur du problèmeWhere stories live. Discover now