19/ De l'utilité toute relative des centres commerciaux

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Comme je le craignais, le centre commercial est bondé. Il fait beau. C'est le week-end. Et en plus certains magasins ont eu la bonne idée de brader une partie du stock ! Un vrai bonheur pour moi. Je serre les dents et me rends au point de rendez-vous... qui se trouve être l'endroit le plus fréquenté du lieu. Je manque faire demi-tour, et puis je vois Kira.

Splendide, bien entendue. Elle porte des vêtements très simples, mais chics qui la mettent en valeur. Une jupe a plis creux rouge brique, un chemisier blanc cassé et une paire de ballerine assortie.

Elle est entourée de sa cours habituelle. Six ou sept personnes qui partagent ma fascination pour cette Clever Girl. Attirés par sa beauté, son intelligence ou simplement son caractère ouvert et franc, ils demeurent à ses côtés, autant soutiens qu'adorateurs.

Matthew fait partie du lot, bien sûr. Une fille est accrochée à son bras. Une différente de celle que je l'ai vu embrasser la semaine dernière. Le beau gosse est un tombeur. Je ne dois pas l'oublier.

Kira s'empare de mon bras et m'entraîne vers des allées moins bondées, mais quand même bien assez pour que mon anxiété atteigne un niveau très, très dangereux. Elle m'imprime un rythme que je tache de conserver pour ne pas distancer le groupe. Dans ces cas-là, Big Data prend très vite le relais. Je commence à parler du projet pour les olympiades. Je devine plus que je ne vois les regards exaspérés de ceux qui sont avec nous. Je ne peux rien contre ça.

Kira ne se formalise pas. Je ne sais même pas si elle m'écoute. Elle me force à m'arrêter devant une vitrine. Des chaussures. Des sacs. Des trucs dont je me fiche royalement.

— On va aller essayer avec Jane. Vous allez à la séance de 13h30, c'est ça ? Vous nous rejoindrez au bar à yaourt ensuite ?

Je suis soufflée. Je vais me retrouver seule avec Kira ! La pression va forcément retombée. L'espoir fait vivre. Matthew ne bouge pas d'un pouce tandis que sa copine piaffe pour suivre le groupe de « cinéphiles ». Il finit par céder en me lançant un regard noir. Mais pourquoi me déteste-il autant ?

— Je crois que ton frère ne m'apprécie pas beaucoup.

— Vraiment ? Je n'ai rien remarqué... Tu sais, on est très proches, mais on ne se dit pas tout. Et puis, je n'interviens pas dans sa vie amoureuse... ou amicale. Il n'intervient pas dans la mienne.

Non, je ne sais pas. Parce que je suis unique. Je n'ai aucune fratrie et peu de cousins. Je n'imagine pas ce que cela doit être de partager sa vie, ses parents, son espace... sans compter que je suis surdouée. Ma capacité à comprendre les sentiments des autres s'arrête souvent aux données de psychologie que j'ai intégré en étant moi-même étudiée à la loupe. Ça ne veut pas dire que je les comprenne ou les ressente, ni même que j'ai la capacité de les imaginer. Mon empathie a des limites très, très étroites. Je ne sais pas tout. Loin de là. Et le large et tumultueux royaume des sentiments est un domaine que je maîtrise mal. J'en ai conscience. Alors je garde le silence malgré le regard amical de Kira, qui au lieu de me faire entrer dans l'antre de l'accessoire non vegan, m'entraîne vers un petit glacier. Elle est forte.

— Bien. Jane, dit-elle en s'asseyant à une table dans un recoin. Nous sommes seules. Tu es dans endroit qui va vite te devenir familier. Personne à l'horizon pour te mettre la pression. Pas d'Irina, ni de Linda, ni de Mia, ni de Jessica pour nous pourrir ce bon moment où je vais te faire déguster la meilleure glace au chocolat de la ville.

Je souris. Très, très forte, Clever Girl.

— Merci.

— De quoi ?

— De te préoccuper autant de moi. D'arriver à comprendre.

— Je ne comprends pas vraiment. C'est juste que ... je dois bien te l'avouer, j'ai un peu d'aide te concernant.

— Tes parents sont psy ?

Elle éclate de rire avant de se reprendre.

— Pas vraiment. En fait, pas du tout. Mais j'en vois un.

— Tu vois un psy ? Toi ?

Le cœur du problèmeWhere stories live. Discover now