La mathématique des fleurs...

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" La mathématique des fleurs

Quand j'étais petit garçon je repassais mes leçons, non pas en chantant, mais en jardinant. Mon grand-père avait un immense jardin dans lequel je passais le plus clair de mon temps. C'était mon temple de paix, le théâtre de mes jeux d'enfant.
J'aidais papi dans le potager et en échange il m'apprenait à lire, à compter, à écrire, à penser.

"Je plante, tu plantes, il plante, nous plantons, vous plantez, ils plantent. Me faisait-il répéter avec soin et attention.

- Nous plantons quoi papi? J'étais insatiable de questions.

- Premièrement il faut dire "que plantons-nous?" Me corrigeait-il avant de me répondre que nous étions actuellement en train de mettre en terre des carottes.

Chaque jour il me faisait la leçon.

Assis en tailleur entre la rangée de tomates et celle de courgettes, j'écrivais ce que papi me dictait.

"Pour planter des tomates, commençait-il lentement pour me laisser le temps de gribouiller tant bien que mal sur la feuille posée sur ma cuisse, il faut commencer par creuser un trou dans la terre fraîchement retournée...

- De quelle taille le trou? L'interrompais-je

- Une trentaine de centimètres, me répondait-il concentré.

- Un trou de trente centimètres, me répétais-je en écrivant dans la marge pour retenir l'information.

- Une fois que le trou est creusé il faut déposer au fond un peu d'engrais, continuait-il, et...

- Il faut quoi comme engrais? Le coupais-je, trop curieux pour attendre la fin.

- Le meilleur engrais est l'excrément mon grand, personnellement j'utilise le crotin de cheval que me donne l'éleveur à côté.

Je prenais note dans un coin de la page. Engrais = caca. Je ne voulais rien oublier.

Quand la dictée était terminée, je l'aidais à mettre en pratique, par le meilleur apprentissage : les mains dans la terre. Je creusais mon trou, déposais consciencieusement un peu crotte au fond, quelques feuilles d'ortie, puis la graine bien au milieu et enfin je recouvrais avec de la terre et je lui donnais à boire. Et je recommençais, trente centimètres plus loin.
Ensuite, à l'aide d'une raclette montée sur un long manche, comme une sorte de balais mais sans poils, on nettoyait l'allée jonchée des débris de nos plantations, feuilles abîmées, emballages, mottes de terre, cailloux indésirables et mauvaises herbes.

Papi tenait à faire travailler ma mémoire également. Alors chaque matin, après avoir arrosé les arbustes et le potager, je me faisais un devoir de marcher sur le terrain avec lui et nommer chaque espèce, ainsi que la méthode utilisée pour la planter et en prendre soin. Je connaissais chaque nom, mais me trompais souvent sur la technique de plantation. Certaines avaient besoin d'engrais, alors que pour d'autres cela rendait la terre trop riche alors cela les tuait, certaines se développaient encore mieux grâce aux orties et d'autres ne toléraient pas du tout ça. Certaines avaient très soif et avaient besoin de deux arrosages par jour alors que d'autres ne devaient recevoir de l'eau qu'un jour sur deux. Tout mémoriser était d'une extrême complexité mais je ne m'avouais pas vaincu.

Après le repas du midi j'avais une heure de libre pendant laquelle je jouais entre les grands arbres fruitiers du verger, devenu cour intérieur de mon château fort, avec un immense bâton transformé en épée chevaleresque avec laquelle je combattais les dragons et autres chimères du poulailler et de l'enclos des chèvres. Je me faisais des films, dans ma tête, dont j'étais le grand héros, fier et victorieux.

Mon grand-père disait toujours "spiritus sana in corpore sano". Il m'avait appris que cela voulait dire "un esprit sain dans un corps sain".
Pour ce faire il me faisait faire un parcours sur le terrain pour me faire utiliser mon corps autant que ma tête. Par exemple je devais partir de la porte d'entrée de la bâtisse en courant jusqu'au puits qui se trouvait au fond du verger, remonter deux sauts d'eau, repartir en courant en direction du potager sans renverser, et les déposer là-bas. Puis je devais parcourir deux rangées du potager à cloche-pieds, puis deux à pieds-joints. Quand cela était fait je devais, en courant toujours retourner au verger. Une fois là bas je devais, armé d'un grand sac en toile, ramasser toutes les pommes tombées au sol en me baissant uniquement en pliant les genoux. Je devais ensuite ramener, en courant toujours le sac rempli à mon grand-père. Il comptait alors les fruits et s'il jugeait qu'il y en avait suffisamment, l'entraînement sportif était terminé, si au contraire il trouvait qu'il en manquait il m'envoyait alors avec un nouveau sac ramasser les poires également.

Ce que je préférais par dessus tout dans toutes ces leçons était l'apprentissage des chiffres.
Mon grand-père avait une méthode bien à lui pour m'enseigner. Je me servais des pétales des fleurs.

- Tu as quatre marguerite dans un bac à fleur, énonçait papi, le vent souffle et deux d'entre elles perdent trois pétales. Combien en ont elles perdu?

Ou pour tester ma logique il me posait le problème dans le sens inverse.

- Tu as cinq marguerites. Le chat marche dessus et arrache des pétales, 3 sur la première, deux sur la deuxième, et une sur chacune des trois restantes. Combien reste-t-il de pétale? Demandait-il avec un grand sérieux.

Je cherchais alors. Réfléchissant de toutes mes forces, comptant et re comptant. Sans parvenir à trouver la réponse jusqu'à ce qu'un détail me saute aux yeux:

- Mais papi! Il y a combien de pétales au début sur chaque marguerite? M'écriais-je.

Il me souriait alors, fier de ma vivacité d'esprit.
Je nommais cet exercice de comptage, la mathématique des fleurs.
Je n'ai pas été à l'école conventionnelle, et pourtant j'ai reçu une éducation exemplaire. Qui m'a forgée, m'a permis de devenir l'homme que je suis devenu, avec les valeurs qui sont les miennes. Mon grand-père n'est malheureusement plus de ce monde, mais je repense souvent à son école buissonnière.
Et je me confesse. Lorsque je remplis ma déclaration d'imposition, parfois je compte encore les pétales.
Ça en fait des marguerites hein papi?"

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