Chapitre 5

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« Sachez que les évènements suivants n'ont pour unique but que de vérifier votre bonne loyauté », avait prononcé Olsen, dans le sous-sol du Sénat

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« Sachez que les évènements suivants n'ont pour unique but que de vérifier votre bonne loyauté », avait prononcé Olsen, dans le sous-sol du Sénat.

On m'avait ensuite bandé les yeux. On me donnait diverses consignes : trier des papiers que je ne pouvais voir, puis déchirer le tas de feuilles. Parfois, on me demandait ensuite de recoller les morceaux, comme un puzzle, toujours privée de ma vision. Enfin, il me fallait écrire un compte-rendu de ces documents, qu'il m'était toujours impossible de lire. J'inventais leur contenu, ne sachant si les lettres que je formais avec mon stylo avaient du sens — je n'écrivais presque plus depuis deux ans et le froid s'était tellement insinué dans mes os qu'il me semblait que mon poignet restait rigide.

Au cours de ces tâches, des voix pestaient contre moi. J'étais insultée, moquée. D'autres voix venaient me poser des questions intimes. J'évoquais mon enfance, en Normandie, puis mon arrivée à Paris à l'âge de quinze ans, ma passion pour l'histoire des arts, que je poursuivis jusqu'en licence à la Sorbonne. Tous les jours, on me demandait de compter en détail la mort de mes parents, puis celle de mes frères.

Jetée par la fenêtre du quatrième étage. Transpercé au ventre et au cœur par un tisonnier en laiton. Hypothermie. Accident cardiovasculaire.

Chaque journée se terminait par un interrogatoire. Lumière artificielle, blanche pâle, je ne voyais pas mon interlocuteur. On me posait des questions que les voix m'avaient déjà posées. On me demandait mon âge quatre fois d'affilée. On m'interrogeait sur mes positions politiques : je ne mentais presque pas. Je disais être une « lésée », que les évènements avaient bouleversée et rendue dépolitisée, plutôt favorable à la Commune.

« Ce vocabulaire est inexacte. Nous parlons désormais de parisiens, uniquement. Vous êtes parisienne, Morozova. »

À la fin de la journée, on me faisait passer par un couloir étroit, aux boiseries sombres. Je rentrais chez moi et j'avais pour consigne de revenir le lendemain matin. Il y eut une fois où, avant de rentrer chez moi, on m'offrit un pot de miel — denrée inaccessible depuis les vagues de froid. Un élastique maintenait une étiquette contre le pot : « Pour Judith, dont les cheveux ont la couleur du miel ».

Margaux et moi économisâmes le pot aussi longtemps que possible.

J'ignore combien de temps dura cet épisode. Margaux me forçait à manger. Mon ventre ne s'arrondissait plus. Elle me serrait dans ses bras toute la nuit et je ne faisais que somnoler. Le matin, elle me répétait mon prénom, mon nom de famille, et énumérait mes qualités : j'étais selon elle dotée d'une volonté infaillible, intelligente, capable de calme en cas de péril. Je ne savais pas ce que j'en pensais.

Un soir, dans le couloir du retour, mon regard rencontra celui de Montmarcy qui passait là. Mon regard s'arrêta sur sa barbe courte. On me disait d'avancer mais je restais immobile. Son regard était humide. Il eut l'air de vouloir lâcher sa larme, fronça les sourcils et passa son chemin.

JUDITH ⎢Gagnante concours Mythes Modernes sur FyctiaWhere stories live. Discover now