Chapitre 10

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J'expirai entre ses lèvres, mon dos heurtant durement la porte qu'il venait de claquer

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J'expirai entre ses lèvres, mon dos heurtant durement la porte qu'il venait de claquer. Ses mains se posèrent sur ma taille et ses hanches se pressèrent contre les miennes.

« Sublime », murmura-t-il, presque plus pour lui-même.

Sa bouche créait une sensation de brûlure le long de ma mâchoire chaque fois qu'il déposait un baiser, de plus en plus doux. Ses boucles venaient chatouiller mon cou et mes oreilles.

« En quoi est-ce que je mérite ta confiance ? soupirai-je, entre deux respirations difficiles.

Il s'immobilisa quelques secondes, me perçant de son regard vert. Je le voyais indistinctement dans cette pièce seulement éclairée par les bougeoirs et par le feu de cheminée.

— Je ne suis pas sûr que tu la mérites mais tu l'as, trancha-t-il.

Il déposa un baiser sur mes lèvres, d'une douceur extrême. Je voulais lui répondre.

— Toi aussi, tu as ma confiance, Milan. »

Ce fut la dernière phrase sincère que je prononçai ce soir-là.

Ses doigts firent délicatement glisser la manche de ma robe sur mon épaule et je profitai de cette initiative pour le pousser doucement jusqu'au lit. Ses jarrets rencontrèrent le matelas et il échangea nos places pour que je puisse m'allonger sur le dos, lui au-dessus de moi.

Son sourire était timide, il ne cessait de me regarder. Je voulais détourner le regard mais je n'y arrivais pas. Moi aussi, je le dévisageais. Je ne pus empêcher mes doigts de caresser ce menton, parfaitement rasé pour l'évènement. Il ferma les yeux pour savourer la douceur de mon geste.

Il avait chaud. Je le voyais aux gouttes de sueur qui pointaient aux coins de son front. Il ôta sa veste de costume et mes poings s'emparèrent de son gilet pour le ramener contre moi, contre mes lèvres. Il laissa échapper un gémissement rauque, faisant vibrer sa poitrine. Je souriais contre le baiser qu'il venait de tenter.

Ses doigts effleurèrent mon coude. Ce geste si anodin pressa quelque chose à l'intérieur de mon ventre, une sorte de douleur délicieuse.

« On aurait dû se rencontrer autrement, Judith », regretta-t-il.

Il avait raison. Il inclina la tête, les lèvres pincées par l'émotion, le regard triste. Il finit par sourire franchement et ses doigts glissèrent sur mon buste, gagnant progressivement le vallonnement de ma poitrine. Mon corps réagit contre lui et il rit innocemment.

Mes doigts défirent progressivement les boutons de son gilet puis de sa chemise. Il chercha à m'interrompre en répétant mon prénom, je continuai tout de même. Il finit par presser mes mains entre les siennes.

« Je ne veux pas que tu sois surprise », murmura-t-il.

Je fronçai les sourcils. Il fit glisser son vêtement le long de ses épaules puis de ses bras, révélant son torse. Mon regard s'arrêta sur le relief de ses muscles et sur la couleur de sa peau, striée de marques plus claires. Il y en avait plein. Il grimaçait alors que j'hésitais à passer mon doigt sur les cicatrices. Il prit mon poignet et finalisa mon initiative.

Je décidai de l'embrasser pour toute réponse mais il attendait autre chose : de l'effroi ou des mots. Mon autre main s'accrocha dans son dos. La pulpe de mes doigts rencontra d'autres blessures, rugueuses et épaisses. 2024.

Il déglutit, encore mal à l'aise.

« Je suis désolé, dit-il doucement.

— Pourquoi ?

— J'aurais voulu être autrement.

— On voudrait tous être quelqu'un d'autre.

— Tu aimerais être quelqu'un d'autre ? me demanda-t-il.

— Pas maintenant »

Je me sentais vivante contre lui, comme si ces dernières années n'avaient été qu'une parenthèse. Il me déconnectait du monde alors qu'il en avait les commandes. Peut-être qu'il avait fini par tout contrôler dans ma vie : mon environnement et mon intérieur. Nous continuions de nous embrasser. Sa main s'inséra dans les froncements de ma jupe et grimpa le long de ma jambe, achevant ce geste entamé dans ce fauteuil le soir de ma noyade.

Un tremblement me traversa. Cette main, si douce et aimante, voulait se donner à moi comme je voulais me donner à lui.

« Ça va pas ? rompit-il notre échange.

— Si, si, c'est juste le bébé.

Celui de Romain. Je n'avais jamais prononcé ce mot jusque-là. Celui-là aussi me ramenait à la réalité. Je fronçai les sourcils. J'avais la nausée. J'avais mon enfant à l'intérieur de moi. Ce n'était pas que le mien et ici, dans cette chambre, il me semblait être un parasite. Et si ce n'était pas lui, c'était moi. Ou peut-être Milan.

— Excuse-moi », dis-je avant de quitter le moelleux du matelas pour passer par la porte menant au boudoir.

Mon cœur s'emballait. J'oubliais toujours qu'il existait celui-là. Le but était peut-être d'oublier qu'il existait, au quotidien.

Je m'accroupis. Retenir ses larmes peut devenir douloureux, mon ventre se serrait tellement que j'imaginais alors que l'accouchement commencerait comme ça. J'étais loin de la vérité. Peut-être que c'est ma caractéristique, d'être toujours loin de la vérité, biaisée dans ma vision partielle, sensible et animale des évènements.

Toute ma vie, et surtout ces dernières années, j'avais dû dépasser l'instinct par un semblant de raison que je trouvais dans l'acharnement, la détermination. Nos comportements sont imprévisibles, on ne peut pas se faire confiance. La seule façon de garder un semblant d'intelligence est de se fixer des objectifs et de s'y tenir, par tous les moyens.

Je me tournai en direction de la porte du fond. J'entendais presque la respiration d'Olsen derrière la porte, ses cils caresser la serrure au travers de laquelle il épiait mes gestes, prêt à me surprendre en possession du revolver. Il ne voulait pas que Montmarcy soit tué, il voulait prendre le pouvoir avec lui. Il savait que j'étais un obstacle.

Je tentai de prendre une respiration mais je sus que je n'y avais pas droit. Je ne pourrais pas respirer avant d'avoir fait preuve, une fois de plus, de courage et de résignation. Je devais être fanatique de moi-même le temps d'instant, oublier que j'avais été influencée par une présence. Il faut rester fidèle à soi.

Je parcourus le couloir, les muscles bandés dans mon dos. Mes mains, soudainement moins frêles, s'emparèrent d'un des sabres. J'ouvris la porte de la chambre dans un fracas. Milan ne fut même pas surpris. Il attendait, languissant dans le lit, les mains derrière la tête.

Je vis l'ombre monstrueuse du sabre, déformée par la lumière du feu sur le mur de la chambre. L'ombre se planta dans son cœur. D'un seul coup, avec des giclures. Comme dans du beurre. Comme si une force plus grande que moi avait décidé qu'il en serait ainsi, que la tâche m'avait été assignée par un Autre.

Margaux et moi fuîmes par la porte Molitor, cachées dans les charrettes de cadavres. J'avais son manteau en daim contre moi, et je sentais son odeur. Lorsque j'avais séparé la tête de son corps, après une dizaine de coups de lame, j'avais remarqué son expression dénuée de surprise. Peut-être l'avait-il prévu. Peut-être que Milan Montmarcy m'avait élue pour être celle qui l'assassinerait. 

 

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JUDITH ⎢Gagnante concours Mythes Modernes sur FyctiaWhere stories live. Discover now