Chapitre 8

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« Tu as fui ? Après tout ce qu'il a fait ? Judith ! J'y crois pas

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« Tu as fui ? Après tout ce qu'il a fait ? Judith ! J'y crois pas. Tu étais à deux doigts de réussir, de rentrer dans son cercle intime, s'exaspéra Margaux à mon retour, après que je lui eus raconté ma nuit. 

J'étais frigorifiée dans notre couverture en fourrure de chats de gouttière. J'avais attendu qu'il se détache de moi et je m'étais levée en silence, assez vite pour qu'il n'ait pas le temps d'intervenir. Dehors, le froid avait mordu ma peau, mes vêtements encore moites. J'avais laissé mon manteau chez lui. Il me semblait que je ne me réchaufferais jamais, parce que j'avais fait l'erreur de quitter sa proximité à lui. 

— J'ai pas pu, Ma'. J'ai pas réussi. Je peux pas. 

— T'es trop pure, tu sais pas mentir aux gens, jugea-t-elle en effleurant ma joue de ses doigts. 

Je tournai la tête. 

— Mais tu es opiniâtre, reprit-elle plus gravement. L'an dernier, pendant la famine de mars, tu t'es disputée tous les jours avec Marlo pour qu'il nous offre des conserves. Tu es celle qui nous a permis de ne pas mourir de faim... 

— On aurait dû accepter les soupes populaires des Communards, tout simplement, boudai-je. 

— Tu ne voulais pas, Romain non plus d'ailleurs. Deux têtes de mules. 

— Ne parle pas de Romain, grignai-je. 

Elle obtempéra, contrariée. Nous avions pleuré ensemble mais, le temps passant, nous avions deux façons différentes de vivre nos deuils. Le défi que je m'étais imposé m'interdisait de trop penser à la mémoire de mon ami. Je voulais le venger mais j'avais surtout le sentiment de le trahir. 

— Rien n'est perdu, Judith. Montmarcy fait un discours à l'hôtel de ville à midi. Il faut que tu le rejoignes », décida-t-elle. 

La place était bondée. Nous fûmes fouillés comme au onze novembre dernier. Je n'avais rien à cacher, surtout sans manteau. La chaleur des corps me réchauffait, Margaux m'avait prêté sa paire de gants. Je peinais à me faufiler entre les gens, mon ventre de plus en plus proéminent. 

Une femme était hissée sur les épaules d'un homme, caressant ses cheveux humidifiés par le froid. Je sais que Romain aurait voulu les imiter. Pour la première fois depuis longtemps, je remarquai l'odeur des gens. La puanteur. J'avais la nausée.

Je voyais désormais la scène, dressée derrière les balustrades du parvis. Il était acclamé, appelé par son prénom, en chœur. Ceux qui semblaient protester étaient immédiatement interpelés par un milicien. Je vis un homme serrer le manche d'un couteau de cuisine, l'air s'évada de mes poumons. Je ne pouvais pas le laisser. Il me blesserait si je tentai de lui voler son arme. Oui, certainement. Je pouvais toujours interpeler un milicien. L'homme armé se tourna vers moi, il m'adressa un regard entendu et me fit un clin d'œil. 

À ce moment-là, un milicien le neutralisa et l'homme fut menotté sous nos yeux. 

Je ne savais pas comment le rejoindre. De nouvelles personnes venaient se joindre à l'amas, circulaient, mes épaules étaient malmenées. Je n'étais personne dans cette foule, j'étais à nouveau l'inconnue pressée contre les barrières. 

« Tu n'y arriveras jamais par ici, Judith. Il faut qu'on sorte de là et que tu tentes de rentrer autrement » cria Margaux, peinant à me prendre la main. 

À ce moment-là, il entra sur scène. La foule se pressa en avant. Des écrans de retransmission s'allumèrent et notre regard était presque plus attiré par l'électricité que par le beau visage qui venait d'apparaître. 

Son menton était gracieux, je regrettai de ne pas l'avoir caressé quand j'en avais eu l'occasion. Il souriait, laissant la foule l'ovationner. Il inclina la tête en signe de gratitude. Son sourire s'éteignit et je remarquai véritablement à quel point son regard était peiné. Je devins si brutalement accrochée à la moindre de ses expressions. Il tenait mon cœur entre ses mains. Je dus détourner le regard. 

Je parvins à m'extraire du parvis et à gagner la rue de Lobau. Je montrai ma nouvelle carte d'identité à deux miliciens qui firent venir M. Collet. Celui-ci m'escorta sous la porte cochère et dans le bâtiment. Dans les couloirs, des lustres manquaient, je marchais sur des paillettes de crystal — résidus de 2024. Sur le plafond, à l'intérieur des voûtes, étaient peintes des scènes bleues, mon regard fut accroché par celle du rêve. 

« Vous êtes un personnage intriguant, Mlle Morozova. Je suis sûr que le destin vous réserve quelque chose. 

— Peut-être est-ce M. Montmarcy », plaisantai-je. 

Il afficha une mine faussement scandalisée et nous rîmes ensemble. Adam Olsen passa dans le couloir à ce moment-là. Je me rapprochais de mon but. Le conseiller du premier Commissaire me saluer et tint à me guider lui-même. Collet retourna à son poste. 

« Vous savez, Mlle Morozova, nous avons plus de point communs que vous ne l'imaginez, me chuchota-t-il à l'oreille. 

Mes pieds se soulevaient mais je ne savais pas où j'allais. Où m'emmenait-il ? 

— Sauf votre respect, M. Olsen, permettez-moi d'en douter. 

Les regards se tournèrent dans ma direction lorsque nous pénétrâmes la pièce. Les équipes de Milan étaient pendues à ses lèvres ou à leur téléphone, penchés sur une série de documents. Tous affairés, j'avais tout de même attiré leur attention. 

— Sachez compter sur un allié lorsque le grand moment se présentera », termina Olsen dans un murmure avant de me quitter. 

Adam Olsen voulait supprimer le premier Commissaire de Paris. 

Milan Montmarcy termina son discours quelques minutes plus tard. Il venait d'annoncer la réouverture prochaine des portes de Paris. Comme avant. La vie allait peut-être redevenir comme avant. 

Il rentra dans la pièce, la sueur sur le front. Olsen lui attrapa le bras : 

« Tu n'as pas parlé des vagues de chaleur ? 

— Non, mon ami. C'était une mauvaise idée, il ne faut pas les brusquer », répondit le premier Commissaire. 

Son regard s'attarda sur moi quelques secondes, toujours aussi contrarié. Agathe, son autre conseillère la plus proche lui annonça : « Excellent discours, Milan. Maintenant, Bruxelles veut un dîner. À Paris ». Il hocha la tête presque innocemment. 

Il semblait perdu. Je me plantai devant lui. Il voulut m'éviter mais j'insistai. 

« Pourquoi ? dit-il. 

— J'ai quelque chose à te dire. » 

Ma familiarité le stupéfia. Il regarda autour de lui, alerte, et m'ouvrit une porte. La pièce sentait la fumée et l'humidité, les murs étaient noircis par les incendies de 2024. 

« De quoi est-ce que tu veux me parler ? Je n'ai pas le temps, aujourd'hui », s'énerva-t-il. 

Je bredouillai. Il fallait que je le fasse. Ces yeux verts, la liqueur sur mes lèvres, la chaleur du feu et de ses bras... Je fis un pas, puis un autre. Il penchait la tête, ses traits s'étaient détendus. 

« Je ne sais plus », bégayai-je. 

Je pressai mes lèvres contre les siennes. Fort. J'aurais juré que ses mains tremblaient. Il semblait démuni. Mes doigts vinrent se loger dans sa nuque pour caresser ses boucles, et il m'imita. Tendrement. 

 

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JUDITH ⎢Gagnante concours Mythes Modernes sur FyctiaWhere stories live. Discover now