21. Premier message divin

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Fen

Je m'étais habitué, ou plutôt résigné, à cette petite routine tranquille. Enfin, tranquille, c'est vite dit quand cette vie de chienne menace en permanence de s'achever avec un couteau dans le bide ou une balle à travers la gorge ; quand tu crèves la dalle à tout bout de champ et que les cafards grillés ressemblent à un dîner de luxe ; quand tu ne dors pas parce que tes os craquent comme du bois sec à cause du manque d'eau. Mais cette chienne de vie, je l'aimais ! Parce que c'est la seule que j'ai jamais connue, la seule qui vaille !

Alors quand un Zi prophétique déboule de la nuit pour te raconter son illumination, flinguant au passage tout ce qui te raccrochait à ladite chienne de vie, qu'est-ce que tu veux foutre ? Le flinguer à son tour ? À quoi bon...

Les Rafales sont finis, mon vieux. Accepte, encaisse et passe à autre chose. C'est facile, mais pas faisable. J'ai le bide en vrac. Le melon en compote. On pourrait se relever de ça. Se casser de ces plaines de mort avec les vingt-deux misérables qui nous restent, abandonner nos dix autres potes entre les griffes de ces Vautours. Et oublier. Tourner la page. La honte des Rafales. La défaite. Putain, Grimm, heureusement que t'es mort avant de voir ça ! Et Auron, qu'est-ce que t'en penserais de tout ça ? Que vos âmes rugissent avec les chevauchées ardentes.

Auron, il serait de l'avis de Zi. Auron, c'était ce grand rêveur. Ce benêt qui s'imaginait qu'au bout de la route, elle serait là, cette contrée de vert et de vie. Qu'il y avait pas besoin de crever pour l'atteindre. Alors peut-être que je devrais y croire, moi aussi. Accepter le deal, passer de Rafales des Dunes à Chasseurs de Mirages.

On ne sera plus cette bande de terreurs sanguinaires qui sèment la haine et la désolation dans leur sillage, juste une cohorte bigarrée de guerriers et guerrières traînant des viocs et des mioches dans leurs basques. Et après tout, pourquoi pas ? Tu les as vues ces gonz', Fen ! De vraies furies, pas le genre à se laisser culbuter. Cette valkyrie qui nous a ruiné la Grosse Bertha à la grenade... Pourquoi je repense à elle ? Ces muscles saillants, ces gestes sauvages, mais chirurgicaux, puis ce corps capable de te compresser les os d'une poigne. Y'a pas dire, ça impose le respect. J'aurais pas honte de me trimballer coude à coude avec elles.

Mais le voudront-elles, elles ?

À les voir s'avancer à l'horizon, elles ont l'air aussi vannées que nous. D'en avoir gros, surtout. Pas le genre à enterrer la hache de guerre après qu'on ait buté une trentaine des leurs.

Ce matin, Zi a envoyé Ramsay comme messager. Elles acceptent de discuter. C'est que, finalement, elles doivent être en aussi mauvaise posture que nous. Ou bien Os leur a pas dit que notre chef a pété un boulon en zigouillant ce qu'il restait de nos combattants chevronnés.

On a descendu le canal du fleuve asséché avec nos motos et nos buggys, laissant quelques sentinelles pour surveiller le convoi et nos blessés. Ça fait qu'on n'est même pas une petite dizaine, avec nos deux prisonnières que Wolf et Memphis escortent ; en face, elles ont aligné les nôtres, genoux à terre. Elles sont au moins une vingtaine, armées. Bon ok, y a des mecs aussi dans la bande, je devrais arrêter d'en parler au féminin, mais les paires de burnes font figuration à côté de la prestance qu'elles dégagent. Notamment la plus avancée, au centre. Une brune somptueuse aux cheveux relevés en une queue de cheval qui gifle le vent. Ses traits irradient d'une hargne à cuire nos fions. On fait pas les fiers en face. J'ai la rage.

Enfin, l'instigateur de cette hécatombe pointe son nez.

Direct, tu vois qu'il a changé. C'est pu la même coquille vide. Non, y a de la matière là-dedans, en dépit de ses fripes trop grandes qui flottent dans le courant de vent. Ça se sent dans sa manière de se tenir, d'escalader le monticule de débris du pont qu'on a pété hier et de s'y asseoir au sommet tel un prince. Un prince du chaos. De sa position, il marque physiquement la limite entre nos camps, à quatre, cinq mètres de distance. Mais Os se tient en retrait : c'est aux chefs de mener les pourparlers, il n'est là qu'en observateur.

Les Chasseurs de MiragesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant