22. Premier message divin

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Talinn

Je n'étais pas exactement emballé par ces histoires d'alliances. D'un autre côté, je n'étais pas non plus enjoué à l'idée de courber l'échine devant Grimm, qui respectait la science à peu près autant qu'il respectait Zilla. Mais, de fait, devoir délaisser ses habitudes de pillards et se retrouver en communauté hostile instille le malaise parmi nos intrépides guerriers. Zilla a beau briefer la bande à coups de tatanes : « pas de vague, on est là pour discuter, pas pour allumer des feux. » ; je ne suis pas convaincu. À défaut d'incendies, de l'électricité plane dans l'air.

Nous nous engouffrons dans les artères de la ville en ruines peu avant le coucher du soleil. J'ai dans l'idée de profiter des derniers rayons pour pouvoir visiter les immenses chars que l'on discernait au loin, depuis la colline.

Nous sommes une quinzaine à nous déplacer ; certains préféraient rester à la base, sur la défensive, et faire feu de camp à part. Difficile de les blâmer à la vue du comité d'accueil : des visages effrayés, des expressions de dégoût, des yeux de haine. Peut-être aurions-nous dû arriver de nuit, finalement.

Je les comprends. Après tant d'incarnations féroces au commandement des Rafales, notre réputation de pillards barbares et violents nous colle à la peau. Nombre de rescapés de nos raids ont trouvé refuge parmi ces Vautours ; il faudra plus qu'un soir pour enterrer la hache de guerre.

Allons-nous seulement l'enterrer ? Il est question de regrouper nos forces et nos ressources pour un long et difficile voyage. Pas de s'apprécier. Qu'ils gardent leur rancœur et nous confinerons notre barbarie.

Alors que je me résigne à ce statu quo, je le regrette lorsque notre cohorte échoue au niveau du terrain vague envahi par les imposantes forteresses à voiles. Incroyables assemblages de bric et de broc, de containers rouillés, d'armatures métalliques tordues et ressoudées selon une physique improbable. Comment ce tank peut-il seulement rouler ? Une mécanique complexe que je rêve de décortiquer !

Les introductions sont froides, mais cordiales, avec ce qu'elles nomment « le conseil des matrones ». Pour laisser les nouveaux chefs, Zilla, Fen, Wolf et Anon – le remplaçant de Grimm –parler entre eux, on me présente à une personne d'intérêt en ma qualité de géologue, météorologue et physicien touche-à-tout : Eden. Ce petit brin de femme ronde, au nez retroussé de fierté et au visage encadré dans un carré brun, me renvoie un sourire crispé. Il rehausse les traces de cambouis et de crasse sur ses joues, et je ne peux m'empêcher de trouver ça adorable.

Eden est l'une des ingénieures qui entretient ces monstres roulants. Avec elle, nous faisons le tour du circuit d'eau ; du large récupérateur de pluie au réservoir, en passant par les parties communes. Je me familiarise avec le réseau électrique et leurs batteries maison. Fasciné, je l'encombre de mes questions, la relance pour des compléments d'information et partage, volontiers, mes expériences et mes conseils. Grisé par les atomes crochus de nos intellects, j'oublie toute défiance. Elle aussi.

Elle semble réaliser que je ne suis pas un pillard sanguinaire, juste un écumeur curieux qui s'est arrangé pour survivre. Le courant finit par passer – sans mauvais jeux de mots – alors que nous discutons devant les groupes électrogènes.

Nous montons ensuite sur le pont où leur navigateur, un certain Paril, me présente les différents mats, ainsi que les écoutes, winch et poulies pour orienter les voiles. Je lui fais remarquer que cela ressemble aux systèmes de ces bateaux de l'ancien temps. Paril me confirme qu'ils se sont effectivement inspirés de ces références, déterrées dans de poussiéreux ouvrages.

— Vous vous intéressez aux livres, vous aussi ?

— Pas vraiment, c'est Hector qui adore farfouiller les ruines à la recherche de ces trucs pleins de pages et qui nous déniche les passages pertinents.

Les Chasseurs de MiragesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant