"Fuck la vie" (2/2)

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Cela fait deux ans maintenant que je suis récupérateur d'âmes. J'arrive quelques secondes avant la mort, je récupère l'âme perdue, perturbée, paumée. Le plus difficile à récupérer ce sont les âmes des enfants, compliqué d'expliquer à un enfant qu'il est mort. Parfois aussi, je me retrouve sur les lieux d'accidents terribles et quand l'âme voit son corps mutilé, elle est horrifiée.

Parfois, je suis tranchant, je torture l'âme.
- Fallait pas boire autant avant de prendre la voiture...

Et puis, un jour, il y a une erreur. J'arrive sur place pas quelques secondes, mais quelques minutes avant la mort. Un suicide. Dans le garage d'une jolie maison de banlieue. La victime, une jeune fille, dix-sept ans. Anaïs. Putain que cette fille est jolie ! Je la regarde passer la corde sur la grosse poutre en bois du garage. Elle pleure, mais semble déterminée. Elle doit l'être sinon, je ne serais pas là. Mais... ça me dérange. Je suis là trop tôt. Je la vois faire, forcément, elle ne sait pas que je suis là. Et comme un con, je crie :

- Ne fais pas ça ! Vis ! Vis Anaïs !

Parce que maintenant, je regrette ma mort. Voilà deux ans que j'erre seul entre le bureau de la faucheuse et mes interventions. Toute la journée, il n'y a pas de nuits de sommeil, pas de jours de repos. Je récupère des âmes. Des enfants, des jeunes, des vieux, des groupes... des malades, des accidentés, des suicidaires, des victimes... je ne compte même plus le nombre de morts que je vois chaque jour et je travaille seulement en France. Je suis lasse. Vidé.

Elle passe la corde à son cou, elle pousse la chaise avec le pied et crac. Elle gigote, pendue à sa corde et soudain, je la sens à côté de moi. Nous regardons tous les deux son corps qui s'agite encore quelques secondes avant de se figer à jamais.

Elle soupire. Je n'ose pas la regarder.

- C'est fini, souffle-t-elle soulagée.

Je la regarde enfin, elle est calme, paisible, presque souriante. Elle est magnifique.

- Vous êtes qui ? Me demande t-elle, même pas apeurée.

- Charly. Je suis celui qui doit t'accompagner vers l'autre monde.

- Sérieusement ? Ce n'est pas fini ? Je veux dire, je vais encore me prendre la tête quelque part avec des gens et tout ça ?

Elle est déçue, elle me gronde presque.

- Tu iras certainement au Paradis et...

- Mais je veux aller nulle part moi ! Je veux la paix ! Je veux dormir éternellement ! crie-t-elle furieuse cette fois.

- Ce n'est pas moi qui décide, je ne fais que mon boulot.

- Bah il est nul ton boulot, dit-elle en se regardant de plus près.

Elle me fixe, tend son bras vers moi et tente de me toucher.

- C'est impossible. Nous sommes des âmes. On ne peut pas se toucher.

À regret, je l'avoue. Cette fille est jolie, elle m'attire et éveille en moi de la curiosité.

- J'imaginais la faucheuse avec une tête plus effrayante que la tienne.

Elle se met à rire. C'est nerveux ou sincère ?

- Tu verrais ta tête ! Sérieusement, c'est toi la faucheuse ? Enfin le faucheur ?

- Je bosse pour elle, enfin lui. Je suis un récupérateur d'âmes.

- T'es vachement jeune dit donc ! (Elle me tend la main machinalement et se met encore à rire en comprenant son geste). Moi, c'est Anaïs.

Tranches de pain de vieDonde viven las historias. Descúbrelo ahora