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L'indifférence faisait mal. Mais le rejet faisait encore plus mal – surtout lorsqu'il venait de la personne qui était censée partager vos sentiments. La douleur s'insinuait en vous jusqu'au point où vous ne pouviez plus la supporter et elle vous obligeait à défaillir, à succomber aux bras de la souffrance – qui durant ces moments devenait cette fumée qui vous étouffait.

Christian connaissait cette asphyxie. Le rejet lui faisait découvrir les abysses de la souffrance. Le jeune homme ne cessait de pleurer, son corps parcourut par des tressaillements, de l'humeur découlant de ses narines de manière abondante, ses genoux portant son poids, et la tête levée vers le ciel.

Christian  Martin s'était enfermé dans sa chambre. Il se trouvait dans le noir, face à sa fenêtre, seul le voilage à cette dernière laissait passé une frêle lumière grise. Dehors il n'y avait aucun bruit. Par contre à l'extérieur on suivait le martèlement de la porte par sa mère – qui ne cessait de l'appeler.

Christian était sourd à tout appel, à tout bruit. Il avait le regard vague, fixant – sans vraiment la fixer – la fenêtre. Soudain, comme pris d'un excès de démence il se mit à frapper sur la vitre de la fenêtre. Un bruit monstre s'ensuivit. Elle s'était brisé, des morceaux jonchaient le parquet, certains tachés par son sang. Christian se laissa tomber sur le dos, puis se recroquevilla sur lui-même. Pleurant toujours autant, peut-être même plus. Il pleurait, et semblait vider de toute force.

L'amour construisait comme détruisait. Et celui que Christian portait à Mattéo venait de lui faire connaître son côté obscur.

La classe était bruyante, bien loin de la morosité des premiers jours qui succédèrent à l'annonce de la mort de Hamilton.

Les élèves ne se gênaient guère pour crier, ils ne privaient pas pour snaper, encore moins ils n'avaient de retenu pour échanger sur la dernière nouvelle qui suscitait entre-eux de vifs débats.

Christian Martin ne faisait pas attention à cela. Le front contre la table, il n'avait pas levé la tête depuis qu'il avait franchi les portes de sa classe. Sa conversation avec Mattéo ravivait toujours en lui des souvenirs poignants. Ce matin, Devis l'avait salué mais il l'avait ignoré – sa rancœur était encore présente tout comme son amour et son orgueil. Le fils Martin lui en voulait, il ne savait vraiment pourquoi mais il lui en voulait.

La professeur fit son entrée dans la salle, l'agitation des élèves cessa. La plus part sortirent leurs effets, d'autres se rassirent mieux. Christian ne fit aucune de ces choses. Il avait toujours la tête contre la table, n'accordant aucune attention au professeur encore moins au cours.

Trois minutes, ce fut le temps que durait le débat entre la professeur de philosophie et les élèves concernant un sujet qui suscitaient de vives discussions dans les médias. La salle était troublée par l'excitation des passions des un et des autres. Seul Christian ne s'était pas joint à cette conversation, ce qu'avait remarqué sa professeur.

— Monsieur Martin, s'il vous plaît, pouvez-vous nous donner votre avis sur la question ? Monsieur Martin...

Christian leva lentement la tête. La classe entière avait le regard fixé sur sa personne. Ses yeux étaient cernés et sa mine blafarde. Il avait une piètre allure. D'aucuns s'interrogeaient sur les raisons de cet état, mais aucun ne su émettre une remarque à ce sujet.

— Excusez-moi madame, sur quoi devrais-je donner mon avis ?

La voix de Christian était à peine audible.

— Et bien, vous ne semblez pas être intéressé par l'actualité monsieur Martin. Mais là n'est pas la question, dites-nous plutôt ce que vous pensez du suicide de madame Hamilton et du débat que cela a engagé ? Pensez-vous comme certains que l'on nuit à autrui en cachant ce que l'on est ou alors comme d'autres que cela est une nécessité pour vivre cordialement les un avec les autres ?

Cette question raisonna en Christian. Elle lui parlait plus qu'il ne voulait se l'avouer. Le fils Martin se redressa et se tint plus droit qu'il ne l'était. Ses pupilles se dilatèrent, et ce fut difficilement qu'il avala la salive.

— Je vous écoute Monsieur Martin, qu'elle est votre position sur le sujet ?

— Eh bien... Je... Je pense... Je crois que l'Homme est moulé selon la société... et... et qu'il est intolérant à la différence... donc, je dirais qu'il faut épargner à autrui sa véritable nature pour éviter tout conflit.

— Donc croyez-vous que l'on impacte aucunement sur son ou sa partenaire en lui cachant sa véritable nature ? Donc croyez-vous que monsieur Hamilton n'est pas d'une certaine façon responsable de la mort de sa femme ?

— Non, il ne l'est pas !

Christian affirma cela avec un telle vélocité et conviction, qu'il était indéniable qu'il souhaitait se rassurait plus que répondre avec sincérité.

—  ... Elle est la seule responsable de sa mort, répondit-il en baisant les yeux.

— Merci monsieur Martin pour votre réponse. Vous pouvez vous asseoir. Un autre avis les enfants ?

Le bras de Mattéo se leva. Martin sentit son ventre être saisi de contraction. Il ne savait guère la raison. Le professeur donna la parole à Devis.

— Je ne partage pas l'avis de Martin. Personne ne devrait se servir d'une autre personne pour satisfaire son égoïsme.

Christian eut l'impression que son estomac tomba sous ses talons, il arrivait difficilement à avaler la salive, qui plus est sa bouche était aussi sèche que les rivières de sable du Sahara.

— ...Monsieur Hamilton, paix à son âme – reprit Mattéo – n'a pas eu de scrupule lorsqu'il a utilisé sa femme pour couvrir son homosexualité, il n'a pas pensé au bonheur de sa femme, à ce qu'elle ressentirait lorsqu'elle l'apprendrait. Il a juste voulu cacher ce qu'il était peu importe le mal qu'il faisait. Et c'est malsain. Le pire est qu'il n'est pas le seul à abuser des autres. D'autres suivent ses traces et peuvent bien aussi conduire leur partenaire au suicide, déclara-t-il en regardant discrètement Christian.

Christian serra les dents. Fixant Mattéo, après avoir d'abord fuit son regard, il n'arrivait ni à décrocher ses yeux des siens, ni à s'asseoir. Encore moins il n'arrivait à s'expliquer la sensation de malaise qui le tenait. Ce fut le professeur qui l'amena à s'affaisser lorsqu'elle l'y invita.

— D'accord, Merci Mattéo. C'est une vision porté sur la sincérité que nous invite à suivre monsieur Devis.

La professeur frappa dans ses mains après sa phrase. Elle regagna sa table, puis ajouta :

— Pour le prochain cours vous discuterez la pensée de François De La Rochefoucauld qui dit, je cite : « La sincérité est une ouverture de cœur. On la trouve en fort peu de gens, et celle que l'on voit d'ordinaire n'est qu'une fine dissimulation pour attirer la confiance des autres. ». Ce sera tout pour aujourd'hui, déclara la professeur en récupérant son sac et en quittant la salle.

Christian Martin ne tarda guère à suivre ses traces, sauf qu'à sa différence il gagna la salle d'aisance au lieu d'une salle de classe.

À peine avait-il refermé son box qu'il fondit en larme. Il avait mal. Mattéo, l'avait confronté, à nouveau, à cette vérité blessante. Cela lui faisait encore plus mal, car ces paroles étaient celles d'une personne qu'il estimait... qu'il aimait.

BORN IN RAINBOW ( BxB )Où les histoires vivent. Découvrez maintenant