7 : Manoir hanté

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Petit à petit, Alicia parvint à discerner tout ce qui l'entourait...

Quelle tristesse se dégageait de ce lieu ! Le jardin morne et privé de couleur avait été complètement laissé à l'abandon. En s'avançant encore, Alicia découvrit que la maison n'était pas plus animée. Immédiatement, elle fut frappée par son intrigante architecture. C'était un manoir tout de guingois qui s'élançait sur trois étages. Le temps, comme il l'aurait fait sur une personne, avait laissé une marque profonde et indélébile sur les pierres de la bâtisse. On pouvait lui trouver des points communs avec ces manoirs anglais du XIXème siècle, mais certains détails lui donnaient un style indéfinissable. Le pallier d'entrée, par exemple, était encadré par deux piliers gris surmontés d'un petit toit triangulaire, à la manière des monuments antiques. Une mystérieuse phrase y était gravée :

Ici nous ne nous réveillons jamais, la folie nous gouverne et les plaisirs sont nos tombeaux.

– Quel accueil, marmonna Alicia.

La jeune fille s'attarda sur l'aile gauche. Elle était arrondie en une tour moyenâgeuse derrière laquelle on apercevait le bord d'un balcon tacheté de mousse olivâtre. De loin, les guirlandes de ronces qui s'y accrochaient donnaient l'étonnante impression que la façade avait été frappée par la foudre.

En suivant l'ascension vorace de ces plantes, son regard tomba sur des gargouilles sinistres censées faire office de gouttières. Combien de superstitions et de légendes devaient graviter autour de ce manoir ! Si la famille Addams habitait quelque part, c'était ici. L'esprit romanesque d'Alicia tenta un instant de redonner vie à cette propriété abandonnée. Des couleurs s'ajoutèrent à la nuit mauve, des fleurs remplaçaient les ronces et on entendait des rires peupler le jardin. Derrière les fenêtres, des jeunes filles en corset marchaient d'un pas léger, traçant des cœurs sur des tambours à broder. Parfois, des domestiques pressés allaient et venaient, comme des Polichinelle dans un théâtre de marionnettes. Le soir, on pouvait voir une douce lumière sortir des fenêtres cernées de briques et...

Alicia reprit soudainement pied dans la réalité : elle avait aperçu une véritable lueur au dernier étage. Tous ses sens furent de nouveau en alerte. La lumière était encore là, bien réelle. Quelqu'un habitait donc cet endroit, quelqu'un qui pourrait lui venir en aide.

Sans attendre davantage, elle s'élança vers l'entrée et gravit maladroitement quelques petites marches gelées. Arrivée devant l'imposante porte noire, elle frappa des coups répétés avec le heurtoir.

La porte s'entrebâilla alors qu'elle n'avait pas fini de frapper. Alicia plissa les yeux, ne discernant absolument rien à l'intérieur.

– Bon-soi...r ?

Comme elle ne voyait personne pour l'accueillir, elle s'arrêta net. C'en était trop ! L'idée irraisonnée d'un manoir hanté resurgit dans son esprit. Prise d'une peur anémique, elle referma précipitamment la porte et recula d'un bond superstitieux quand ses yeux rencontrèrent le heurtoir en forme de tête de diable, toute langue dehors.

D'instinct, elle jeta un coup d'œil au dernier étage. Ce qu'elle vit la glaça : la lumière avait disparu. Son esprit avait-il tout imaginé ?

Alicia grimaça en contemplant l'entrée de la terrible forêt qui encerclait la propriété. Elle était perdue, comme jamais elle ne l'avait été auparavant. Cependant il était trop tôt pour chercher une explication rationnelle à tout ça. Elle se répéta à voix haute :

– Allez, du calme, tout va finir par s'arranger, il ne faut pas paniquer.

Au cours de son existence, on n'avait cessé de la prendre par la main, de la guider, de l'orienter telle une aveugle ; et elle se laissait faire parce qu'on lui avait toujours bien fait comprendre qu'avec son tempérament d'écervelée elle serait incapable de se débrouiller seule. Or, cette fois, il n'y avait personne pour résoudre les problèmes à sa place.

Le Conte de la LunaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant