28 : Les chroniques de La Luna II (partie 1)

68 19 18
                                    

Bien sûr, Owen avait récupéré les instruments de la sorcière, les feuilles vierges ainsi que le crayon ensorcelé. Mais quand il se mit à esquisser un visage, il découvrit avec étonnement que le crayon ne laissait aucune trace sur le papier. En examinant l'objet mystérieux, il décela des inscriptions étranges qu'il pensa indispensable de traduire.

Depuis la perte de son visage et surtout depuis qu'il avait subtilisé les pouvoirs magiques de la sorcière, le manoir d'Owen était soumis à un enchantement des plus extraordinaires : il lui fournissait tout ce dont il avait besoin, remplaçant le service des meilleurs valets du monde. Ainsi donc, le manoir devint le prolongement de l'âme du comte. Owen profita de cette aubaine pour demander un livre capable de traduire les symboles du crayon. Son souhait fut aussitôt exaucé. Après des heures de travail acharné, il déchiffra la phrase :

J'appartiens à l'étranger qui sert mes desseins.

Il hésita à traduire « étranger » par « banni » ou « altermondien ». Quoi qu'il en soit, le jeune homme en arriva à la fâcheuse déduction que seule une personne venant d'une autre contrée, voire d'un autre monde, pouvait se servir du crayon. Hélas ! Ce genre de rencontre n'arriverait probablement jamais ! Il rangea donc les feuilles et le crayon mais ne se résigna pas pour autant. Car une phrase tournait et retournait sans cesse dans sa tête. Une phrase prononcée par la sorcière elle-même :

« Tu es maudit pour toujours, à moins que l'amour ne rende véritablement aveugle. »

De ces mots qui le hantaient, Owen comprit que, pour rompre le maléfice, il lui fallait une nouvelle fois tomber amoureux. Malheureusement, avec une telle infirmité, aucune femme ne le laisserait s'approcher d'elle. Il se trouvait lui-même tellement plein d'amertume qu'il n'était pas bien sûr de pouvoir ressentir à nouveau de l'amour pour qui que ce soit.

C'est alors que l'idée lui vint d'offrir son cœur aux jeunes femmes qu'il rencontrerait, ce qui, peut-être, compenserait son absence de visage. Mais surtout, cette astuce lui permettrait de tomber instantanément amoureux.

– En effet, dans le pays d'Owen, la mode chez les jeunes gens est de porter...

– Un cœur en pendentif, je sais.

– Dans ce cas, tu sais que l'offrir est un sacrifice exceptionnel, car celui qui en hérite obtient l'amour éternel et sans condition du malheureux donneur... Owen ne fit pas exception à la règle.

Il rencontra donc toutes les jeunes filles aux alentours de La Luna, princesses, servantes, souillons, leur offrant un cœur désespéré. Les princesses lui rirent au nez, répondant qu'elles n'oseraient jamais toucher de leurs doigts purs le cœur d'un être aussi dérangeant. Les autres exprimèrent généralement du dégout ou de la terreur. Bref, toutes rejetèrent le comte.

C'est à ce moment qu'Owen fit une singulière rencontre.

Un soir d'orage et de déluge, une bête cadavérique vint gratter à sa porte. C'était un grand chat qui arborait un étrange sourire.

– Que viens-tu faire chez moi ? demanda Owen.

– On dit que j'attire le malheur sur tous ceux qui m'entourent, susurra le chat. Quand on ne me fuit pas, on veut ma peau. Je viens vous implorer de prêter refuge au pauvre monstre que je suis. Un homme malheureux, cher comte, ne peut rien craindre de moi.

– Comment me connais-tu ?

– Un chat errant sait beaucoup de choses. Si vous m'accueillez, en plus de ma dévotion la plus totale, je pourrai vous livrer mon savoir...

– Tous les désespérés ont une place dans ma demeure. Quel est ton nom ?

– Mon nom est Belzébuth.

Le Conte de la LunaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant