23 : Un nouvel ami ?

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Arrivée dans l'antre de culture qui sentait la poussière et le vieux papier, Alicia put vagabonder tranquillement au milieu des torrents d'ouvrages que la lumière jaune des bougies faisait ressembler à des trésors. Et si l'une de ces pépites pouvait lui indiquer comment maîtriser la magie, lui donner le pouvoir de voler ou de passer à travers les murs ? C'était peut-être un peu risqué pour une novice. Et pourquoi pas un livre qui apprendrait à rompre les sorts ? Il lui suffirait alors de désenchanter le portail et même, avec un peu de chance, de rompre la malédiction du comte. Un jeu d'enfant !

– Psst, fit une voix.

La jeune fille se raidit, les sens en alerte.

– Par ici, mademoiselle.

– Belzébuth, si c'est encore toi...

Alicia suivit l'origine de la voix. Un genre de buffet croulant sous une montagne d'encriers desséchés attira son attention. Elle se pencha lentement. Deux majestueux perroquets peints sur les battants semblaient la regarder d'un air rieur. Elle ouvrit le meuble d'un geste brusque. Rien, aucun mouvement, aucun signe de vie. Cependant, la voix continuait de l'appeler. L'adolescente chercha encore mais sans succès.

– Mais où êtes-vous ?!

– Le Livre ! cria la voix étouffée.

Alicia s'approcha d'un grimoire posé sur le buffet. Serait-ce possible ? D'une main tremblante, elle le retourna et découvrit, incrusté sur la couverture... non ! Un visage qui grimaçait !

Elle relâcha aussitôt son emprise.

– Ah ! c'est pas trop tôt ! J'ai cru devoir passer le restant de mes jours dans cette position, très inconfortable je dois dire... Attends, j'ai le nez de travers, non ?

Alicia releva un sourcil sceptique :

– Qu'est-ce que c'est que ça encore ?

Ça ? Je t'en prie, un peu de respect. Je suis le Livre, ma jolie ! Le Livre d'Owen. J'aurais voulu te rencontrer plus tôt, Alicia... tout ça, c'est à cause de ce cafard désossé de Belzébuth qui m'lâchait pas la reliure ! Ouais, parce que j'ai pas du tout le droit de te parler ! Alors, sois un peu discrète, OK ?

– C'est toi qui fais le plus de bruit pour l'instant !

Elle jeta un regard méfiant autour d'elle avant d'ajouter :

« Dis-moi, pourquoi n'ai-je pas le droit de te parler ? »

La fine moustache de pierreries qui bordait ses lèvres ondula :

– Mais parce que je suis LE Livre, bon sang ! J'peux te raconter plein de trucs hyper cool sur cet endroit. Crois-moi, je suis méga dans le vent.

Alicia explosa de rire, le langage du livre était au moins aussi ridicule et peu naturel que celui de sa mère qui essayait de « parler comme les jeunes »

– Chut, chut, t'es ouf ou quoi ? Tu veux qu'on me prépare un autodafé ?

– Tu t'exprimes plutôt mal pour un livre...

Le cercle d'or autour de ses yeux d'opale s'agrandit démesurément.

– Je ne fais que m'adapter à mon lecteur ! se défendit-il.

« Je pourrais même, si mon verbe ne vous plait guère,

« M'exprimer dans un registre plus littéraire.

« Et je peux parler en mandarin, japonais, tamoul, persan, birman, javanais, zoulou, yorouba, ouzbek...

Alicia entrouvrit les lèvres, déroutée par ce compagnon pour le moins excentrique. Après quelques secondes de réflexion, elle fondit sur lui sans dire un mot.

Le Conte de la LunaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant