"On prend tous un sens interdit un jour." M.Scofield

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Le reste de son shift fut aussi banal que d'habitude. Elle ne remarqua pas les regards soucieux d'inconnus ou les tensions qui prenaient certains individus... elle se concentra sur son shift. Et cela l'arrangeait bien. Le lendemain, à son cours de méthodes, elle avait une présentation à faire. A 8h30, elle devrait se tenir devant un auditoire endormi et peu caféiné, qui écouterait d'un demi oreille son état de l'art. Tout le monde applaudirait, personne ne poserait de questions. La prof allait encore une fois la rabaisser devant tout le monde, lui vilipendant qu'elle accusait la sociologie par ses propos. Elle allait s'enflammer, comme lors de sa dernière présentation, lorsqu'on lui avait dit que la neutralité axiologique faisait que sa position dans son écrit était problématique... Après tout, comment parler des émeutes urbaines sans être engagé? Sans être triste? Sans être dégoutée par la violence symbolique qui berce au quotidien ces jeunes....

Rangeant son sac et son vélo à la fin de son shift, elle se surprit à écouter les ragots, ils la troublaient... Elle était bien trop prise dans sa réflexion autour de son oral pour écouter avant cela.

- Des bastons partout, qu'importe le quartier, c'était vraiment bizarre...

- De fous, comme s'il y avait une guerre de gangs ou un truc du genre...

Aéna fronça des sourcils. Elle qui croyait que c'était le choc qui lui avait donné l'impression que la ville était sous tension...

- Aéna, t'es blessée en fait, lança Ilya, un des responsables du garage en s'approchant d'elle.

- Oui, je suis tombée, faut juste que je désinfecte mes mains, répondit-elle, évasive.

- Il ne s'est rien passé de grave j'espère, s'enquit-il, appliquant de l'eau oxygénée sur ses plaies, faisant fi de ses grognements de douleur alors qu'il mettait un bandage sur ses blessures.

- Non non, juste un type super lourd, sourit-elle, saisissant son sac pour se diriger vers la sortie du garage. Merci pour les soins, Ilya !

- Pas de quoi. Sois prudente en rentrant !

- Oui oui, toujours ! salua-t-elle d'un mouvement de la main en affrontant la fraîcheur de cette nuit d'automne.

Elle prit le tram comme elle le faisait à chaque fin de shit, ses écouteurs dans ses oreilles la berçant alors que la ville endormie défilait sous son regard fatigué. Elle avait mal à la tête, mal aux bras, mal aux jambes... Ce shift avait été un calvaire. Elle n'avait qu'une hâte : rentrer, glisser dans ses draps, et lasser son corps se reposer...

Sa nuit pourtant allait être courte, elle allait devoir se réveiller tôt, réviser, se rendre présentable, tenter de masquer ses cernes, et mettre sous silence ses douleurs musculaires pour aller à l'université. Elle avait un bus et un métro à prendre pour y aller, et si jamais elle loupait son bus, elle allait devoir prendre son vélo. La simple idée de remonter sur un vélo dans moins de 7h la fit grimacer.  Elle allait morfler...

Elle fut soudain saisie par le bras, le geste la tirant de son état catatonique. Elle se leva d'un bond, s'éloignant de la poigne.

Elle croisa le regard d'un azur profond d'un inconnu. Il semblait soucieux, un ride barrant son front alors qu'il semblait jeune, avoisinant la trentaine.

- On doit filer, vite, je vous cherche depuis des heures !

-Pardon? Mais...Je ne vous connais pas... lâcha-t-elle, inquiète.

-Je suis ami avec Evan. On vous expliquera tout, mais vous devez me faire confiance, je ne vous veux aucun mal...

-Ce n'est pas dans mes habitudes de suivre les inconnus qui me disent vouloir m'aider, renifla-t-elle en se réinstallant, agacée et fatiguée.

-Aéna, s'il vous plait...

Un grand bruit le fit taire et fit sursauter Aéna. C'est comme si des pieds tapaient sur le toit du tram... Comme si des gens atterrissaient sur le toit du tram ! Mais c'est impossible, n'est-ce pas? On est dans la vraie vie, pas dans un film ...

Elle entendit alors un rire. Et sentit un profond sentiment de colère s'emparer de son coeur. Et cette colère n'était pas la sienne, elle le savait bien, elle le sentait bien...

Ce rire guttural, déplacé sortant de cette gorge avait fait monter le long de son échine un frisson de dégoût et de pur mépris... Il voulait les détruire. Il voulait les faire souffrir. Tous. Evan, quelque part dans la profondeur obscure de la ville endormie, était en colère. Din le sentait, et il voyait la jeune fille près de lui trembler, prise dans ces sensations qu'elle ne comprenait pas, son estomac noué par la rage... Elle se sentait dépossédée de son corps, perdue entre rage et crainte. Pourquoi? Pourquoi ressentait-elle cela?

 - Vous ressentez la colère de l'alpha, la colère de Evan, lui expliqua calmement Din en posant une main sur son épaule, comme pour la ramener à l'instant présent.

- Pourquoi... souffla-t-elle, le regard brillant de larmes contenues tant la violence de ces ressentis la chamboulaient dans cet état de fatigue physique et psychique.

- Parce que vous êtes en danger, souffla-t-il, dans un sourire triste.



Au Nom de ma Liberté...Où les histoires vivent. Découvrez maintenant