CHAPITRE 1

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INCONNU(E)

SUPERBIA

La musique classique m'a toujours transportée, elle m'a toujours fait ressentir quelque chose contrairement aux humains. Pendant très longtemps cette sensation a été douloureuse. Ne pas être normal. Mais, maintenant, je m'en délecte. Cette sensation est intense, euphorisante, mais surtout satisfaisante.

Comme ma muse sur cette table. Elle est là, tremblante et gémissante comme un nouveau-né dans son plus simple appareil, les membres retenus par mes cordes préférées, celles en velours. Elles sont épaisses et ne cisaillent pas la peau, non, elles maintiennent seulement avec une force sans faille.

Cet homme si arrogant, si imbus de sa personne. Il n'avait eu de cesse de mentir dans sa vie, mentir sur les dossiers qu'il devait rendre, sur les idées qu'il avait. Écrasant par la même occasion le reste du monde qui gravitait autour de lui.

Au travail, il affirmait que ses idées lui venaient de Dieu lui-même et que c'est pour cela qu'il était aussi doué. Mais, qui oserait s'attribuer les mérites d'un autre ?

Il existe de la vermine. De la pourriture qui doit disparaître.

- S'il vous plaît, je vous en prie.

Je me détourne de la contemplation de son torse nu où les lettres ont commencé à apparaître au son de sa voix. Son corps est pâle et ses lèvres sont pratiquement bleues. Je perds progressivement ma brebis avant même d'avoir fini mon travail. Ses yeux suppliants sont remplis de larmes qui rejoindront bientôt les précédentes.

C'est beau, beau de voir comment l'humain devient vulnérable au moment où il sait qu'il va mourir.

- SHHHHTT mon enfant, murmuré-je, tout va bien se passer. Je vais t'aider, tout ira bien, tu n'as plus à t'inquiéter, tu n'as pas à vouloir te battre. Je m'occuperai de ton corps, ne vois-tu pas le cadeau que je suis en train de te faire ?

- VA TE FAIRE FOUTRE SALE MALADE !!

Il hurle et commence à se débattre, néanmoins je sais parfaitement comment cela va se finir, il va s'épuiser et finir par s'évanouir. Les lettres gravées dans sa chair, à l'aide de la lame de couteau plongée dans l'acide, provoquent un écoulement de sang et la nécrose de ses tissus. Cette blessure n'est pas suffisante pour le faire trépasser, cependant elle l'est assez pour qu'il s'épuise et sombre dans l'inconscience. Ils sont épuisants à réagir tous pareils. 

Ils me demandent pourquoi. 

Ils pleurent, prient, puis sombrent dans la rage de la survie avant de mourir avec résignation.

Alors, j'attends, je m'assois sur les grandes marches de cette église majestueuse. J'aime prendre du recul sur mes muses quand elles expient leur douleur. L'air frais qui passe à travers les grands vitraux cassés, me caresse le visage et expulse un peu l'odeur ferreuse provoquée par le sang de ma muse. J'apprécie résonance dans ces édifices, si sourde et si amplifiée simultanément. Celle-ci, même délabrée, ne fait pas exception. Les vitraux sont en très bon état pour un lieu abandonné, comme si personne n'avait osé profaner ce lieu sacré. Seuls les bancs ont été déplacés sur le côté, laissant un espace immense menant jusqu'à ma table. Le sang s'écoule lentement sur le sol, créant des traînées rappelant des multitudes de rivières, sortant de son corps écartelé. Il ne hurle plus, sûrement lassé par mon manque de réaction.

Je me lève, étirant mon corps fourbu, et en approchant de son visage, je croise ses yeux, vidés de tout espoir. Il sait qu'il ne peut rien contre moi et mon œuvre magnifique. Je reprends mon couteau dans ma poche arrière et le replonge dans le bol rempli d'acide posé à côté de son visage. C'est alors que mon œuvre reprend progressivement sous ses gémissements. Je découpe la chair délicate de sa cuisse avec les mêmes lettres que j'ai gravées sur le reste de son corps. J'achève la septième scarification avec un contentement non dissimulé.

Je pense que cela le terrorise de me voir sourire. Il ne bouge plus, évanoui de douleur quand j'ai recommencé. Cela me contrarie fortement. Il ne va plus souffrir pour la suite, alors qu'il devrait tout ressentir. Je descends les marches du promontoire pour aller chercher dans mon sac un élément essentiel. je saisis le pochon qui contient le sel.

Je prends une poignée et la frotte entre mes mains, la piqûre de douleur est vive là où je me suis coupé pendant que ma muse débattait, mais j'accueille la douleur avec plaisir. Je me mets à caresser le corps avec vénération, faisant pénétrer le sel dans chaque coupure. Une fois mon œuvre terminée, je m'empare du couteau une dernière fois. J'ouvre sa bouche et me saisis de sa langue avant de la trancher comme on le ferait pour un bon steak. Son muscle cède rapidement sous le tranchant de la lame. S'il n'était pas évanoui, je pense qu'il serait peut-être mort de douleur. Mais, ce n'est pas la dernière chose à faire, non. Je m'empare du rasoir disposé près du bol, ainsi j'entreprends de raser méticuleusement la tête de ce dernier. Puis, de ma lame, j'inscris le chiffre un.

C'est en reculant pour admirer mon tableau final que je m'aperçois que sa poitrine ne se soulève plus. Il est mort. Mort, alors que les dernières notes de ma douce mélodie ne sont pas été achevées.

La frustration monte en moi, il est si faible. Mais, c'est cela l'apanage des Hommes. Il mentait, il s'était approprié le travail d'un autre, il avait sans relâche attiré l'adoration de ses amis, de ses collègues, de son entourage.

Ainsi, voilà sa punition.

Maintenant, la partie la moins drôle et la plus barbante : faire disparaître mes traces. C'est là que je gomme toute la suprématie de mon travail à l'aide de mes mains recouvertes de gants et armées d'un tissu trempé dans l'acide. Je me mets à passer le tissu sur l'intégralité de son corps de ma belle brebis, effaçant progressivement sa première couche de peau.

Je pars quelques heures plus tard, laissant un amas de chair sanguinolente et un magnifique tableau. 


VISCÉRALEWhere stories live. Discover now