3. Marigold

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Danaerse

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Danaerse

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C'était il y a longtemps, je ne me souviens plus de quelle date exactement, mais c'était les années soixante-dix, ça j'en suis sûre. J'avais vingt ans à cette époque. Tout juste vingt ans, d'ailleurs. C'était une nuit de printemps et je me souviens être rentrée d'une soirée, marchant dans la nuit jusqu'à l'arrêt de bus au bout de la rue Hapjeongno. Je m'étais disputée avec mon petit-ami de l'époque et avait décidé d'attendre le premier bus.

J'allais attendre trois heures. Et ces longues heures d'ennui et d'attente que j'imaginais se sont révélées les plus marquantes de toute mon existence. J'ai soixante-douze ans maintenant, et ma mémoire me fait défaut, mais je me souviens de cette rencontre comme si c'était hier. Qui l'aurait cru ! Je ne me souviens même pas du visage de mon petit-ami de l'époque et, pourtant, je me souviens de ce vieux monsieur assis sur le banc du bus, un bouquet de fleurs entre les mains.

Il était âgé, cela se voyait de par ses épaules voûtées ou par la peau relâchée de son cou qui me faisait penser, malgré moi, à un dindon. Je me suis d'emblée demander ce que faisait ce vieux bonhomme, assis seul sur un banc du bus, semblant porté tout le malheur du monde sur ses frêles épaules.

Je me suis alors doucement approchée de lui. La dispute que j'avais eu avec mon petit-ami, complètement oubliée, laissant place à une curiosité dévorante. La lune, haute dans la nuit étoilée, jetait son éclat froid sur nos silhouettes et donnait à l'instant une sorte de solennité particulière. Je me suis approchée de lui et, au même moment, comme poussée par le destin, le vent chanta tout autour de nous, faisant frémir les feuilles des arbres et relever par la même occasion le regard de ce vieillard.

Et quel regard. Je n'avais jamais rien vu de tel. Un regard où se lisait tous les sentiments humains, bons comme mauvais, un regard qui avait vécu et qui avait tout vu si bien que rien ne pouvait lui échapper, rien ne pouvait le surprendre. Sous ses paupières lâches, une multitude de choses se passait à travers ses iris ternis, de quoi vous retourner l'âme de la plus bouleversante des façons.

Le vieil homme m'analysa quelque secondes, son regard plongé dans le mien et jamais alors je ne me suis sentie aussi nue, pas même lors de mes moments d'intimités passés. Après ce qui me sembla des heures - mais qui ne dura en réalité que cinq secondes tout au plus - l'homme se poussa légèrement jusqu'à se retrouver à l'extrémité du banc. Dans cette invitation silencieuse, je m'assis à côté de lui, le regardant du coin de l'œil avec intérêt et surprise.

Mon regard longea son corps emmitouflé dans un manteau trop grand et rafistolé ça et là. Ça m'avait attendrie, la vision de ce vieux monsieur englouti dans ce long manteau comme un enfant qui aurait piqué les vêtements de son père. Un élan de tendresse sans nom s'empara de mon cœur lorsque je longeai ses mains veineuses et fragiles qui tremblaient malgré elles comme des feuilles d'automne arrachées si cruellement à leur arbre pour venir mourir sur le sol, sans aucun espoir d'être contemplées de nouveau. Et ces fleurs, jaunes, orangées, d'une couleur si vivace qu'elles en devenaient presque éblouissantes, avaient attiré malgré moi mon regard. Elles étaient belles, chaudes, réconfortantes et chaleureuses. Ce n'était qu'un bouquet fait de ces uniques fleurs que le vieillard tenait entre ses mains et, pourtant, ma curiosité n'en devint alors que plus piquée.

Prisme | Recueil collaboratifWhere stories live. Discover now