Fides

La tendresse ou l'hypocrisie ?

Lucy se réveille de sa longue sieste. Il est vingt-et-une heure et un truc lui troue la poitrine. Le manque. La tendresse de Natsu. Juste le contact de sa peau contre la sienne, juste celle du frottement de ses doigts contre les siens. La tendresse que ses yeux lui transmettaient en la caressant du regard. Celle de sa voix du matin, étouffée par le sommeil et les draps blancs.

Elle a cette chose en travers de la gorge. Inexplicable. Cette espèce d'amertume coincée qui ne veut pas partir et qui la fait pleurer. Lucy a la larme facile. Mais c'est une pleurnicheuse discrète. Lorsqu'elle le fait, c'est à l'abri des regards indiscrets. Chez elle, sur le balcon. Ou sous sa couette, en pleine nuit.

Elle s'énerve de regretter Natsu. Elle aurait préféré tirer un trait sur lui. Un gros trait noir qui bousillerait son sourire, son odeur, son toucher. Le faire vraiment, l'effacer, et pas seulement avec les mots.

– Sérieux Lucy...tu veux pas sortir un peu ?

Lucy en a rien à foutre de la question de Rogue. Elle préférerait pouvoir lire en paix. Elle lit L'insoutenable légèreté de l'être et elle espère que Tomas n'est pas Natsu.

Rêveuse. Lucy se surprend à être rêveuse. Elle se surprend à imaginer un autre Natsu. Irréel, qui lui donnerait de l'amour. Elle oublie qu'elle aussi, elle ne voulait pas d'une histoire à deux.

Rogue jure parce qu'il ne supporte pas les silences de Lucy. Ce qu'il aime chez elle, c'est quand leurs corps se touchent et que ça sue. C'est tout. Aussi, quand il sort avec du monde et que les gens les admire.  Ça, il adore. Dans son intérieur, ça s'illumine.

Mais Lucy, en dehors de ça, l'ennuie.

– J'vais sortir seul alors. Dit-il.

Lucy n'écoute pas parce qu'elle reçoit un message qui bloque sa respiration :

Il veut pas de ton truc. Je sais pas quoi en faire. Rdv ce soir je te le rends.

Meldy a envoyé ces mots comme si elles s'étaient vu hier. Ça fait peut-être un mois ou deux. Lucy ne veut plus la voir depuis Natsu. Si elle efface un Dragneel, elle les efface tous. Lucy ne veut pas faire les choses à moitié.

Ses doigts tapotent tous seuls sur le clavier de l'écran, comme si son corps était indépendant de son âme :

J'en veux pas. Jette-le.

Meldy ne répond pas et Lucy ne parvient pas à se remettre dans son livre, à se noyer dans les mots de Kundera. Elle entend la porte claquer, Rogue est parti. Elle entend son téléphone vibrer, Meldy insiste.

Lucy soupire quand Natsu vient se planter devant elle. Elle voit rapidement au loin, le regard de Meldy qui n'avait pas anticipé sa venue.

Natsu ne lui dit rien. Il ne dit pas « Salut, ça fait longtemps » ou « J'ai quitté Sorano pour toi ». Lucy n'est pas déçue ni surprise. Natsu ne parle pas. Elle le connaît. Les preuves de Natsu sont ses actes. Ses gestes, ses mains sur son corps, pas ses mots, pas quelque chose qui pourrait l'engager. Natsu est un peureux. Un peu comme elle.

Il farfouille dans la poche de son jean trop grand et lui tend le petit paquet.

– Garde-le. Dit-il.

Et sa voix fait vibrer Lucy. Beaucoup trop douce, beaucoup trop familière. Lucy mange les sons et les lettres qui sortent d'entre ses lèvres. Pour cacher sa faim, elle repense au paquet. Ça la met en rogne. 

– Comme si j'avais envie d'un souvenir de merde..

Elle est méchante et Natsu soupire. Il a le sourire triste de la victime qu'on ne fait que blesser. D'ailleurs, il le dit lui-même :

– Tu me blesses, là.

Lucy s'énerve.

– Ouais. Moi aussi, tu me blesses. Et ça fait trop mal. Alors dégage.

Elle crache presque ses mots au visage de Natsu. Mais il ne bouge pas d'un pouce. Pire, il croise ses bras sur son torse et fronce les sourcils. Démonstration de force, il tient tête à son adversaire. Surprise, Lucy se demande depuis quand il n'est plus lâche.

–  C'est ta décision qui nous blesse. Lui rappelle-t-il.

Mais Lucy a vraiment envie de pleurer. Elle se demande si les paroles de Natsu sont vraies. S'il veut un truc avec elle en même temps qu'avec Sorano.  Elle, elle en a fini avec lui et ses hésitations. Pour oublier ces questions, elle coince une cigarette entre ses lèvres rouges et l'allume d'un coup de briquet.

– T'avais pas arrêté ?

Natsu est surpris. Mais Lucy fume depuis que ses relations amicales avec Juvia se sont fortifiées. Juvia est une fumeuse. Et rapidement, elles se sont finalement penchées à deux à la fenêtre pour s'allumer une cigarette. Il ne peut pas le savoir, il s'est exclu de sa vie. Ou elle l'en a exclu. Ils ne savent plus. Tout s'embrouille.

– Tu te trompes. C'est toi qui a pris la décision de baiser exclusivement avec Sorano.

La mâchoire de Natsu se crispe un peu. Il trouve que Lucy se fout d'elle. Il sait très bien qu'à ce moment-là, s'il avait demandé à Lucy d'être exclusive, elle aurait dit non.

– Alors quoi ? On aurait été un petit couple parfait ? Tous les deux ? On sait très bien comment on marche Lucy. Et on est incompatibles.

Et ils se regardent. Tous les deux fautifs.

Lucy marmonne un « ouais » et resserre ses mains autour du petit paquet. Natsu ne bouge pas et ça l'angoisse. Elle regarde ses lèvres et elle a envie qu'il l'embrasse.

Elle voit le regard de Natsu qui reluque les siennes, luisantes. Elle se rappelle de la chanson d'Odezenne « Je veux seulement ton cul, ton cul, ton cul, ton cul. » et elle s'énerve silencieusement. Natsu baise. C'est tout. Son regard tendre masque son envie. La tendresse de Natsu, elle en est certaine, c'est de l'hypocrisie.