A la mémoire de Ginette

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Ginette n'avait jamais aimé les fins. La première fin qu'elle vécut se trouva au détour d'un cinéma de quartier. Elle qui n'avait jamais mis les pieds dans ce lieu d'exception découvrit époustouflée les rangées de sièges battants, les grands rideaux rouges qui cachaient l'écran et l'allure élégante des visiteurs endimanchés. A l'apparition du générique, ce mot s'était présenté sous ses billes d'enfant avec une musique enjouée en fond sonore et ses larmes se mirent à couler en comprenant que plus jamais elle ne reverrait la sublime dame en noir et blanc qui l'avait subjuguée par sa beauté et qui de surcroit portait les traits d'un visage familier, dont elle scrutait tous les soirs le portrait.

Les années passèrent à l'orphelinat qui offrait tous les dimanches après-midi un spectacle sur petit écran et elle finit par réussir à regarder le 7ème art, à voir s'afficher le mot fin en gardant l'œil sec. Elle était grande maintenant. Tant et si bien qu'était venu l'heure de quitter les bancs de l'école primaire pour entrer dans un collège religieux réservé aux filles. Cette douloureuse étape, marquait alors la fin de son insouciance et surtout la fin des récréations entre copains. Ce jour là, elle quitta la cour, les yeux larmoyants, les sangles de son sacs à dos bien accrochées sur ses épaules en reniflant.

En rentrant, elle claqua la grande porte de la bâtisse, en entendant la voix enthousiaste de la gardienne des lieux qui chantonnait. Pour cette femme d'ordinaire taciturne, était venu le moment où Ginette allait enfin l'aider dans la gestion des tâches quotidiennes. Aussi, se retrouver devant cette femme, qu'elle allait devoir mimer ne l'enchantait guère. Ginette n'aimait pas toutes ces choses qu'elle faisait avec beaucoup d'entrain, tout en râlant sur les petits habitants. En plus sa nouvelle école ne serait plus dans le même quartier, alors elle savait qu'elle ne reverrait plus Charles, son amoureux secret qui lui tenait discrètement la main dans les couloirs en attendant le professeur. Elle étouffa ses sanglots sous les faibles couvertures, en tentant d'oublier la perte de son premier amour et les papillons qui virevoltaient dans son ventre au contact de sa peau.

L'été ne fut que préparation sous le regard exigeant de la maitresse de maison dont les talents s'arrêtaient à l'entretien d'un intérieur. A la fin de la saison, la cloche annonçant la rentrée sonnait dans les oreilles de Ginette comme un renouveau qu'elle ne souhaitait pas.


A reculons, elle découvrit un monde monochrome, même sexe, même coiffure, même vêtement, des poupées sans âme qui répétaient inlassablement les mêmes gestes. Hormis la délicieuse Colette. Les cheveux flamboyants, un regarde de friponne, dotée de mimiques expressives. Un brin de causette avec Colette lui permis d'entrevoir un rayon de soleil, qui s'éternisa. Ainsi les années lui semblèrent plus vivantes et surtout mon longues. Elle bravait tous les interdits sans jamais se faire prendre. Avec aisance elle jouait divinement la comédie, ses exagérations lui rappelaient sans conteste la dame en noir et blanc et pour cela Ginette l'admirait.

A la fin des études, la mutine Colette l'emmena pour une soirée endiablée au bal d'été afin de faire connaissance avec la gente masculine dont le regard avait bien changé. Sauf un, celui d'un ancien amour innocent, celui de Charles. Et pour la première fois, elle entraperçut qu'une fin pouvait être joyeuse car celle-ci lui offrait un gout de liberté.

Ainsi, Charles l'invita à danser une valse improvisée et puis rire aux éclats. Il lui offrit les premières grandes aventures de sa tendre jeunesse, de sa nouvelle vie de petite femme. Des tours en voiture à la recherche des lieux les plus insolites de la région, de tendres baisers cachés derrière les bottes de foins, le goût de l'eau de vie qu'elle détesta, les promenades nocturnes durant lesquelles ils refaisaient le monde. Ainsi il lui fit la cour durant deux années, lui offrant tout un monde de possibilités. Son cœur battait si fort pour lui que lorsqu'il s'agenouilla vêtu de sa salopette bleue tachée de cambouis un soir dans l'orphelinat, elle dit oui. Haut et fort. Parce que Charles n'était pas comme les autres. Il l'aimait lorsqu'elle portait des pantalons, lorsqu'elle parlait politique et quand elle l'aidait à faire de la mécanique. Ainsi ce simple oui marqua la fin de son innocence et elle pleura, pas seulement de joie. Aussi beau que cela lui paraissait, Ginette savait qu'elle perdait sa liberté.

Pour témoin de son humble mariage, elle choisit Colette. Ce jour là, fut une fête, une joie partagée avec la famille qu'elle s'était inventée. Charles devenu aux yeux de l'état son époux, son seul et légitime amour, la couronna de baisers, de tendresse et lui offrit une vie bien agréable et de beaux enfants qu'elle éduqua dans le respect de ses convictions. Vivre comme ils l'avaient choisi, faire ce dont ils avaient envie, ce qui les animait. Et la vie comme on lui avait promis défila à toute vitesse. Plus elle rapetissait et plus les rides se frayaient un chemin sur sa peau délicate, plus ses progénitures grandissaient. Lorsqu'ils furent adultes, elle reprit les promenades nocturnes en compagnie de celui qui lui avait fait vivre ses plus belles aventures. Jusqu'au soir où vint la fin de son histoire avec son merveilleux amour. Une longue histoire qui l'avait rendue la plupart du temps heureuse. Alors en regardant le visage abimé par le temps mais toujours aussi beau de son cher et tendre, elle lui dit au revoir, avec l'espoir de le retrouver un jour. Car cette fin là, elle ne pouvait s'y résoudre. Les petites gouttes glissait de ses grands yeux bruns dans un silence religieux. Cette fin fut la plus douloureuse.


Et malgré ce qu'elle avait souhaité, malgré toutes ses prières secrètes elle ne le rejoignit pas. Son corps de combattante bien qu'amoindri continuait sa lutte. Ce corps qu'elle avait armé pour la vie. Son esprit quant à lui disparaissait, sa mémoire la quittait petit à petit en lui offrant la fin de ses souvenirs douloureux mais également celle de ceux qui furent heureux.

Rien que des histoiresWhere stories live. Discover now