L'espoir d'un Balafré p1

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La pièce était guère plus qu'une simple alcôve sombre et poussiéreuse à même la terre battue. Seule une fente dans le mur de grès brut laissait pénétrer un peu de lumière et éclairait la paillasse miteuse et la petite caisse de bois vermoulue faisant office d'unique mobilier.

L'homme referma la porte derrière lui puis s'approcha de la caisse. Il en sortit un chiffon de lin à la propreté douteuse ainsi qu'une outre de peau et alla s'assoir sur la paillasse en soupirant.

Puis il déboucha l'outre, en but une gorgée et humecta légèrement le chiffon en prenant soin de ne pas trop gâcher d'eau dans la manœuvre. Une fois le chiffon légèrement humide, il s'attaqua à nettoyer la couche de crasse qui lui maculait le visage, mélange pâteux de sueur et de poussières mêlées.

La journée de labeur avait été une fois encore éprouvante sous le soleil cruel d'Ircania.

Lorsqu'il jugea avoir retiré le plus gros de la crasse de son visage, l'homme défit une petite boucle en cuir à l'arrière de son crâne. Libérée de son attache, le discret cache en peau qui lui couvrait le visage glissa et alla terminer sa chute sur la paillasse, dévoilant l'orifice boursouflé rosâtre qui avait été autrefois un nez.

Cela faisait maintenant dix ans que Tôlem vivait au sein de la Porte du Désert. Dix longues années de labeur épuisant. Étonnamment, cette situation difficile le contentait plutôt bien.

Les premières années avaient été particulièrement éprouvantes, mais grâce aux facultés de résilience du cerveau humain, Tôlem ne gardait finalement que peu de souvenir de cette affreuse période.

Il ne se rappelait pratiquement plus les jours qui avaient suivi le massacre des plaines de l'Altarie. À peine s'il gardait la sensation confuse des journées entiers passées entre cauchemars enfiévrés et douleurs lancinantes. Quand les soigneurs Ircaniens s'étaient enfin penchés sur son cas, sa cicatrisation était déjà trop avancée pour qu'il puisse espérer récupérer son visage.

Pourtant, contre tout attente et sans aucune aide magique, Tôlem avait survécu.

Puis il avait marché. Beaucoup marché. Des journées entières à marcher. D'abord comme prisonnier de guerre, monnaie d'échange sacrifiable au besoin, trimballé de ville en ville, suivant péniblement le cortège de soldats Ircaniens en une longue chaine humaine de corps meurtris.

Et un jour, la liberté leur avait été rendue. En l'espace d'une journée et sans la moindre explication, la totalité des prisonniers de guerres furent enfin graciés, après deux ans à écumer presque toutes les routes des Territoires Libres en compagnie des soldats Ircaniens. Ultime gage donné par la Reine en faveur d'une paix durable. Les Cités Libres ne représentaient plus un danger pour l'Empire.

Une deuxième existence avait débuté ce jour-là pour Tôlem. Que pouvait-il bien faire après avoir tout perdu ? De sa famille, il ne restait plus que des tombes anonymes aux abords de Didyme, la ville martyr. De sa ferme d'enfance, il ne restait plus que des cendres au milieu de terres retournées et stériles.

La solution était venue finalement de ses bourreaux eux-mêmes. Loin d'être un cas isolé, vie brisée parmi tant d'autres par les affres de la guerre, l'empire Ircania proposa des emplois à tous les nécessiteux dans la reconstruction et le développement du royaume. Et ce fut ainsi que Tôlem avait découvert un matin la chaleur cuisante de la capitale de l'empire, engagé comme ouvrier au sein de la prestigieuse Académie des Magistères. Sur place, on lui avait fourni un logement spartiate mais toujours préférable à la rue, une alimentation sommaire mais journalière, et une paie de substitution.

La vie en tant que travailleur rescapé de guerre à Ircania était dure et austère, mais pas tant différente de celle de nombreuses personnes issus des bases classes de l'empire. D'autres orphelins de guerre et miséreux locaux partageaient son quotidien, rythmé par le rude travail d'embellissement de la capitale et par quelques rares moments de vie communes. Ils formaient une équipe de pauvres hères cabossés par les affres de l'existence, mais pourtant, même au sein de cet environnement pénible, s'offrait l'espoir de jours meilleurs.

Tôlem par son caractère naturellement sympathique, était vite parvenu à se faire apprécier de ses compagnons, qui le surnommaient « Balafré ». Mais même parmi les miséreux, son triste faciès était devenu source d'empathie.


Celui qui rêve sous la montagneWhere stories live. Discover now