18 octobre

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Si Léandre récupère un peu chaque jour, le toucher sans obtenir la moindre réaction m'est intolérable. Il m'a habituée à plus, tellement plus. Grâce à lui, je me suis ouverte, j'ai découvert un royaume suave entre ses mains. Je n'étais pas femme à me laisser facilement approcher, et lui pas homme à se laisser aller au contact. Or, il n'était pas non plus le genre à abandonner. Chaque fois que Léandre se trouve proche, il a toujours un petit geste pour moi, de ces mots que seuls lui et moi entendions sans même qu'il les prononce :

Quand ma mère m'agace, Léandre s'arrange pour frôler mon coude, l'air de me dire « je tiens avec toi. ». Quand j'ai passé une mauvaise journée, il écarte une mèche de mes cheveux, embrasse furtivement ma tempe, me rappelant « je suis là. » Ces jours où je doute, où je m'insupporte, blottie dans un coin du canapé, il dépose une tasse fumante sur la table basse devant moi et caresse ma tête pour me dire « si tu as besoin, n'hésite pas. »

Quand j'y pense, Léandre me dit je t'aime au moins cent fois par jour, sans même ouvrir la bouche. En vivotant autour de mon espace vital, il se montre là dans n'importe laquelle de mes émotions. Quand je stresse dans la voiture, il caresse mon genou, quand je m'agace et cherche à aller plus vite, il frôle mon dos. Peu importe mes sentiments, Léandre n'en a jamais dénié un seul, ne les a jamais ignorés non plus. Les meilleurs comme les plus mauvais. Et s'il était tout à fait lui-même, je me demande ce qu'il ferait, ce qu'il me dirait.

Je ferme les yeux pour mieux l'imaginer, ma bague sur le bout de l'index.

« Moi je pense que ce qui doit arriver, arrivera !

Je tournai la tête vers lui. Ma chevelure brune éparpillée m'empêchait de le voir si bien qu'il appuya sur cette touffe épaisse pour l'aplatir sur le matelas.

—  Tu es traumatisé par Diderot ? demandai-je.

—  Jacques est un génie.

Je ris. Léandre était bien le seul élève du lycée à avoir apprécié sa lecture de Jacques le fataliste. J'avais trouvé le personnage grotesque, lourd et éparpillé ; lui l'avait trouvé incroyable.

—  Non, sans rires. C'est une philosophie de vie tellement pratique le fatalisme.

Sérieusement ? Tu considères donc que tu n'as aucune emprise sur ta vie ?

Le goulot de la bouteille d'eau entre ses lèvres, Léandre secoua la tête. J'observai sa pomme d'Adam monter et descendre au rythme des gorgées.

—  Non, finit-il par dire, reposant la bouteille sur sa table de chevet. Non, je me sers plutôt du fatalisme comme philosophie de consolation. C'est-à-dire que... je fais mes choix. Je travaille dur, je prends des risques. Si ça marche, je me le dois, si ça ne marche pas... alors inutile de me prendre la tête. C'est que ça ne devait pas marcher et de toute façon, j'ai fait tout ce que je pouvais. Tu vois ?

Je me calai sur le côté, le coude sous la tête, bien en face de lui.

—  Donne-moi un exemple, le priai-je.

Le sourire de Léandre se fit taquin, enjolivant son visage de jeune homme par quelques facéties enfantines. J'aimais nos longues discussions du soir. Après l'amour et avant de dormir, Léandre trouvait toujours un sujet pour animer notre fin de journée. Nous nous découvrions ainsi un peu plus chaque jour, dans la plus parfaite intimité.

—  Par exemple... le jour où je t'ai abordée. Je me suis dit : soit j'y vais, soit je n'y vais pas. Et si j'y vais, soit ça se passe bien, soit elle me pardonne sans plus, soit elle me jette son sac de cours...

L'anti-chambreWhere stories live. Discover now