Ce qui est à toi est à moi

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Le soleil matinal faisait danser ses ombres joyeuses sur les murs blanc immaculé de la cuisine. Par la fenêtre, les ronronnements de la rue Sainte Anne et l'air très doux de ces premiers jours d'avril entraient gaiement.

Na-Kyung profitait de l'absence de Céleste pour nettoyer, ranger, cuisiner. La tornade travaillait à la librairie, ce samedi matin, et ne se moquerait pas de son air impeccable, de son tablier, et de son goût immodéré pour les podcasts de « On va déguster ».

« On peut supposer que ces premiers macarons avaient cette forme-là, allongée... »

Alors qu'il allait se sermonner de penser à elle, il entendit le parquet du palier grincer. Malgré lui, son cœur fit un bond. Presque deux ans de cohabitation et il ne parvenait toujours pas à se modérer !

« Le macaron de Pierre Hermé... mmmhh... alors, nous on adore déjà la légèreté... »

—     C'est moi ! Ça sent bon ! Tu cuisines ?

  Elle était là, dans l'encadrement, la tête contre le chambranle de la porte à lui sourire d'un air malicieux. Ses cheveux s'échappaient d'un bonnet vert amande assorti à son pull de laine qu'elle portait négligemment par-dessus sa petite robe noire à fleurs préférée.

—    Encore un nouveau bonnet ? se contenta de répondre le jeune homme.

  Il sentait ses oreilles rougir à l'approche de son parfum floral légèrement poudré qui lui parvenait par petites vagues avec la brise printanière.

—     Alors, mon propriétaire, tu ne me réponds pas ? avait-elle rétorqué en s'approchant.

Céleste adorait ces moments où elle pouvait le taquiner. Elle percevait son embarras mais ne savait pas comment montrer autrement sa sympathie. S'accoudant au comptoir de marbre gris, elle le regarda par en-dessous. Elle lui adressa un large sourire qui découvrit des dents presque parfaitement alignées. De là, elle pouvait admirer son visage concentré, ses yeux qui cherchaient à l'éviter, ses petites oreilles rougissantes.

—     Je t'ai déjà dit, de ne plus m'appeler comme ça... Pour toi, c'est Na-kyung.

—     Alors ? Tu cuisines quoi, Naki ?

« Moi j'adore la pistache. Ça, c'est formidable pour moi ! »

—     Hé ! Fais attention ! Ton pendentif trempe dans le saladier !

Il avait attrapé les deux perles de pierre célestine qui se balançaient au bout de la longue chaine d'argent pendu au cou de la jeune femme. La minuscule paire d'ailes d'argent entre les deux perles était couverte d'une fine couche de farine.

Céleste observa un temps le bijou que son père lui avait offert pour ses six ans avant de s'envoler définitivement. Elle était comme absorbée par ses souvenirs et elle ne percevait plus les gestes du jeune homme qui la reconduisait à la porte de la cuisine en la poussant par les épaules.

—     Va plutôt ranger la pièce qui te sert de chambre ! Et rends-moi mon bouquin !

Na-kyung s'était penché pour reprendre son bien abandonné sur le lit de la jeune femme. Mais celle-ci se précipita pour cacher « Berthe Morisot. Le secret de la femme en noir » derrière son dos.

—     Pourquoi tu t'obstines à cuisiner ? Ta grand-mère remplit notre frigo deux fois par semaine !

Il essaya de la contourner tant bien que mal pour reprendre le pauvre bouquin tout en continuant leur échange qui ressemblait à s'y méprendre à une dispute entre deux enfants.

—     Si tu ne l'avais pas laissé croire que tu l'appréciais autant, elle ne viendrait pas nous gaver ! Hé !!! Mais c'est mon mémoire, là, sous tes vêtements !

La Corbeille Where stories live. Discover now