Chaos

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« L'amour, c'est ne pas pouvoir empêcher le cœur de piétiner l'intelligence »

L'Anomalie, Hervé Le Tellier


Figée sur le paillasson de l'entrée, la valise donnée par Namjoon à ses pieds, Céleste pouvait embrasser d'un seul coup d'œil ce qui avait été son domaine et son refuge de longues années.

À sa gauche, il y avait sa chambre dont la porte était restée grande ouverte. Son bagage, celui qu'elle avait abandonné à Séoul, était là, sur son tapis, à l'attendre impassiblement.

À sa droite, il y avait la cuisine... son domaine à lui. Ce n'était pas le jour du thé, et pourtant elle était là, Halmeoni, et elle la regarda un instant avec intensité. Elle était assise près de Na-kyung qui refusait de lever la tête. Il avait reconnu le bruit de ses pas avant même qu'elle ne fasse tourner la poignée de la porte d'entrée. Il ne reconnaissait en revanche pas son parfum, maintenant qu'elle était enfin là. Et cela le mettait dans une rage folle.

Céleste était revenue seulement six jours après leur retour prévu. Mais ces six jours s'ajoutaient aux semaines de silence. Qu'il était difficile de le briser !

*

Cet avion, il aurait pu ne pas le prendre. Il lui aurait fallu juste une petite dose de folie et de courage supplémentaire. En prenant place sur son siège, en montant dans le taxi, en tapant son code d'entrée, à chacun de ses moments, une part de lui hurlait qu'il n'était pas trop tard pour retourner vers elle.

Mais elle l'avait rejeté, non ?

Il resta planté au milieu de son salon, la valise à la main. Mme Rhee avait encore fait des merveilles : l'appartement qu'ils avaient laissé sans dessus dessous était, à présent, rangé et rutilant. Pas un grain de poussière. Un désordre organisé. Les piles de livres à la bonne place, la montagne de courrier à traiter sur le comptoir de la cuisine, le linge à ranger au pied de son lit.

Et pourtant, ça n'allait pas !

De là où il était, il pouvait voir son lit aux draps tout frais, mais c'était Céleste vidant son sac à main à même le sol, complètement nue, qui dansait devant ses yeux.

Là, derrière le comptoir, il manquait leur tasse de café et son menton sur son épaule...

Et, là-bas, dans la salle de bain hors de vue, il l'entendait encore rire et s'agacer contre ses cheveux...

Non, rien n'était plus à sa place.

Elle avait laissé un morceau d'elle chez lui. En lui.

*

La grand-mère se leva brutalement, obligeant Na-kyung à enfin regarder celle qu'il avait tant attendue. Il aurait voulu mettre dans ses yeux le ressentiment, la colère et l'incompréhension, mais tout ce qui vint fut d'une troublante détresse mêlée de tendresse. Céleste se serait jetée dans ses bras s'il avait été elle-même.

— Reste pas plantée là, gamine ! s'agita la vieille dame qui fit rouler d'un geste vif la valise qui entra en collision avec celle restée fermée si longtemps.

« C'est ça ! se dit-elle. Mes deux bagages entrent en collision... Et celle que je suis avec celle que j'étais... »

Céleste fut tirée dans la cuisine et assise de force devant une tasse de café fumant. Elle sentit les larmes monter. Namjoon était encore bien trop présent ainsi que ses mots tendres, sa présence rassurante et ses derniers gestes de désarroi. À cette heure, son avion pour Incheon n'était pas encore sur la piste. Il était encore temps de l'appeler et de lui parler. Alors pourquoi restait-elle assise là, prisonnière entre deux mondes

La Corbeille Where stories live. Discover now