59. Proposition indécente

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Alexei

— Quarante pourcents ? Mais tu es fou ? On ne va pas se tuer à la tâche pour toi !

Je n'en reviens pas de ce qu'il demande. Cet homme est fou et je ne vois pas comment Clem pourrait accepter ça. Elle confirme d'ailleurs mes propos en répondant à son oncle.

— Tu te rends compte qu'à quarante pourcents, je n'ai même pas de quoi faire tourner le restaurant avec ce qu'il reste ? C'est impossible. Tu as les yeux plus gros que le ventre, là, lui dit-elle, plus posément.

— C'est à prendre ou à laisser, mes petits. Vous n'avez qu'à gagner beaucoup de sous, et les soixante pourcents restants vous permettront de vivre. Ça devrait vous motiver autant que les galipettes, non ?

Je fulmine et je jette un regard à Clem qui a l'air perdue dans ses pensées. Peut-être qu'elle est déjà en train de faire des calculs dans sa tête. Je ne suis, moi, pas dans le même état d'esprit et je me décide à contre-attaquer.

— Jusqu'à ta mort, tu as dit, c'est ça ? C'est intéressant, car un accident est si vite arrivé. Tu es sûr que tu veux laisser une telle condition en connaissant mon passé ?

— Alex, soupire Clem en posant sa main sur ma cuisse. Quarante pourcents, c'est impossible, Hervé. Si on te donne ce pourcentage, tu as un pécule pendant quoi, six mois ? Un an ? Et ensuite on ferme pour faillite. Et là, plus de pécule. Sois raisonnable.

— Ouais, tu peux pas dire que c'est à prendre ou à laisser. Si tu n'es pas venu ici pour négocier, autant qu'on aille directement à la police.

Je suis sur les nerfs et je fais tout pour me retenir de me jeter sur lui. J'avoue que je pense même aux moyens que je pourrais utiliser pour l'éliminer physiquement, mais ce serait une belle bêtise de céder à des pulsions meurtrières. Le gars est un gros porc, un gros con, mais ce n'est pas pour ça qu'il faut l'éliminer. Heureusement d'ailleurs que Clem est là car ses petits contacts me permettent de garder la tête à peu près claire et de ne pas réagir plus que nécessaire aux provocations de ce minable qui nous fait face.

— C'est quarante pourcents ou je ne signe pas le contrat de vente, je vous ai dit. Vous ne comprenez pas le français, peut-être ? Pas assez insérés dans la société française ? minaude-t-il, visiblement fier de ses petits effets.

— Alors va te faire foutre, Tonton. On ne se tuera pas à la tâche pour alourdir ton compte en banque. Je refuse de finir comme mon père, obnubilée par le chiffre d'affaires. Et encore moins si c'est pour que ce soit toi qui en profites alors qu'on se bousille la santé pour survivre, lui rétorque Clem en se levant.

— Casse-toi, mec, avant que je ne m'énerve vraiment. Reviens quand tu auras une proposition sensée. Si tu n'as rien d'ici deux jours, je vais à la police avec tes SMS, mon témoignage. Et pas sûr que Linguini ne craque pas dans un interrogatoire de police. A être trop gourmand, on n'apprécie pas la bonne cuisine.

Je me lève à mon tour et vais ouvrir la porte du restaurant alors que Hervé reste assis, médusé devant notre résolution. Clem est débout entre lui et moi, les bras croisés sur la poitrine. Elle aussi apparaît fière et déterminée. Son regard, s'il pouvait tuer, aurait déjà fait des ravages.

— Eh bien, les jeunes, vous êtes durs en affaires. Moi qui venais le cœur sur la main, prêt à me montrer généreux, je suis obligé de conclure que je suis le seul à être raisonnable ici. Je parle affaires, vous me menacez. J'essaie de trouver des solutions, vous me mettez dehors de mon restaurant. Il n'y a plus de famille à notre époque, c'est lamentable.

Il rassemble ses documents en s'adressant ainsi à nous, sur un lamento qui en devient usant à la fin tellement il sonne faux. Il se lève et fait un grand soupir théâtral avant d'ajouter :

Le Plaisir Normand [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant