13-Rivière

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S'enfuir.

Cali se moquait bien des pouvoirs de la princesse des mirages. Elle se moquait bien qu'un seul claquement de doigt de cette enchanteresse puisse répondre à toutes ses questions.

Elle se moquait bien que Terence ne parvienne pas à la suivre.

Seuls le bruissement des branches frôlant sa peau, et le discours du vent glacé comptaient encore. Ils lui répétaient ces mots : fuis avant de sombrer dans la folie.

Fuis.

Sans te retourner.

Mais le martelement de pas dans son dos s'étouffa, et le petit cœur, que beaucoup croyaient de pierre, de la princesse rebondit.

Quel imbécile ! pesta-t-elle en retournant sur ses pas.

Terence était tombé dans la boue. Il essuyait piteusement son visage avec sa manche, ne réussissant qu'à étaler davantage le mélange visqueux qui lui peignait la peau.

Beurk, grimaça Cali en cherchant dans sa poche un mouchoir.

Elle hésita un instant à le sacrifier, rejeta l'image infâme de ce carré de soie, si propre, mêlé à la sueur et à la mélasse du pauvre garcon, puis elle lui tendit, écœurée.

Il a essayé de te sauver la vie, Cali. Vous êtes quittes maintenant !

— Elle ne nous a pas suivis ? s'étonna le paysan, son regard alternant entre les arbres qu'ils avaient dépassés et la jolie  princesse.

Calissa soupira.

— Peut-être qu'elle attend que vous vous engluiez totalement dans cette boue enchantée qui finira par vous aspirer comme de terribles sables mouvants.

Il glapit, et s'extirpa d'un bond du sol, les vêtements plus crasseux que jamais.

— Vous pensez que la sortie est loin ? demanda-t-il, alors qu'elle recula, de peur de recevoir une éclaboussure de boue sur la jupe de sa robe.

Elle grimaça, puis l'air fier haussa le menton. Maintenant qu' elle ne courrait plus à perdre haleine, cette question lui titilla l'esprit. Devant elle, tous les arbres se ressemblaient, et si par chance—ou magie—, la neige ne tombait pas dans ces bois, Calissa n'en demeurait pas moins glacée de frayeur.

— J'espère seulement qu'une sortie existe... mais puisque la princesse des mirages ne nous a pas suivis, j'ai peur que... nous ne soyons enfermés ici.

Puis, cherchant à tout prix une dose d'espoir, elle secoua la tête.

— Enfin, mes parents finiront bien par me retrouver. Je suis certaine qu'une centaine de gardes s'est déjà lancée à ma recherche.

Elle l'espérait de tout cœur. Parce qu'ils remarqueraient très vite sa disparition, n'est ce pas ?

Elle ignorait combien de temps s'était écoulé depuis son départ. Trois heures peut-être. Plus, moins. Elle imaginait que le temps passait de la même manière ici que dans le reste du monde des ombrumes.

Et si ce n'était pas le cas ?

Et si elle avait atterri à des milliers de lieux de son royaume, avec comme seul compagnon de route, un paysan maladroit ?

Inspire. Expire.

À force de marcher, les arbres s'espacèrent, et derrière un buisson remplis de baies, que Calissa soupçonnait être du poison, le doux clapotis d'une source d'eau s'entendit.
Elle approcha, dégagea quelques branches, et poussa un soupir de soulagement.

Son ouïe ne l'avait pas trahi, puisque sous les rayons du soleil d'hiver, une rivière scintillait entre les rochers, et de curieuses fleurs mauves assez fortes pour braver le temps hivernal.

— On va passer par là, décida la princesse.

— Vous n'y pensez pas ! contra l' insolent, affolé. Nous allons mourir d'hypotermie avant même d'avoir fait un pas.

Cali inspecta de plus près la source, en plissant les yeux.
Peut-être pas...

— Dans les livres d'histoire, j'ai appris que tous les points d'eaux étaient reliés à chaque royaume, justifia-t-elle.

Ses yeux fouillèrent parmi une dizaine de roseaux, celui dont la pointe imitait la couleur de la lune. Quand elle le trouva, elle le porta à sa bouche, et l'avala tout rond. Le goût était infect : amer, à en vomir.  Les délicieux mets de poissons et de crustacés lui manquaient déjà.

— Dépêchez vous, elle pourrait revenir et cette fois ci je vous laisse ici, gronda-t-elle, déjà deux pieds dans l'eau. De plus, un bon bain vous ferait le plus grand bien.

Loin de s'insurger de sa remarque, le dragon resta immobile.

— Je... je nage très mal.

Ça, elle voulait bien le croire...

—Avant les téléporteurs, certaines sirènes s'en servaient pour inviter en douce leur amant ombrumien chez elles. Elles utilisaient des algues, ou des roseaux pour leur permettre de respirer. Mangez en une aussi, elle vous permettra de respirer sous l'eau. Vous verrez... c'est délicieux, sourit-elle, d'un air malicieux.

Comme l'avait pressenti la princesse, le coin était alimenté par une source chaude. Des bulles remontaient autour de sa robe, déjà trop abîmée pour qu'elle ne soucie de la salir davantage. Au moins, elle ne grelottait plus. Elle grimaça seulement, lorsque l'eau se troubla, alors que Terence—et sa peau de boue — s'immergèrent à leur tour dans la rivière, le regard fuyant.

—Et... si c'était un piège ?

— Et si c'était la sortie ? rétorqua la princesse avant de plonger la tête la première dans les écumes.

Elle crut entendre son nom, étouffé par le clapotis de l'eau, faillit remonter, pour s'assurer que Terence n'avait pas rebroussé chemin, mais une main forte lui saisit le bras.

Elle l'emmena au plus profond d'un abysse, que Calissa avait confondu avec un ruisseau.

Brun Cannelle (terminée) Donde viven las historias. Descúbrelo ahora