13 | GABRIELLE

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Je n'étais pas naïve au point de croire Lucifer sur parole. J'en avais vu assez de lui pour comprendre qu'il sauterait sur la moindre occasion de rompre notre pacte : mon répit n'était que temporaire et j'en avais parfaitement conscience.

J'allais devoir me battre comme une furie pour ne pas me laisser submerger par l'attaque que Lucifer finirait invariablement par mener. Il avait l'avantage de jouer en territoire connu mais j'avais l'atout de la surprise. Il ne savait pas encore à qui il allait s'en prendre.

Dès qu'il franchit la porte, je m'empressai de tirer le verrou à sa suite et de fermer les rideaux pour masquer les grandes baies vitrées, camoufler l'intérieur aux possibles regards intrusifs. Je vérifiai, pièce après pièce, qu'il ne restait personne dans le loft avant de redescendre dans la cuisine et de fouiller dans les tiroirs.

J'avais besoin d'un couteau pour survivre.

Je cherchai une lame assez tranchante pour assurer mes arrières mais je ne pouvais pas me permettre de choisir un couteau dont la disparition aurait alarmé le propriétaire des lieux. Il me fallait un manche sans rien d'original qui pouvait manquer sans souci.

Je finis par trouver mon bonheur dans une petite lame dentelée, cachée au fin fond du tiroir et fit miroiter la lame sous le lustre du plafond. L'éclat métallique qui se perdait sur les murs de la maison était sans équivoque : cette arme était parfaite.

Hypnotisée par le métal brillant dans ma main, je m'avançai au centre du salon, incapable de détacher mes yeux de ma trouvaille. C'était l'euphorie de la victoire proche qui m'étreignait comme une vieille amie et le baiser rassurant de la protection qui me touchait en plein cœur.

J'avais l'impression de voir la scène d'en haut, mon âme sortie de mon corps afin d'observer ma fascination malsaine pour l'arme entre mes mains. Je me vis remonter le bas de ma robe blanche jusque sur le haut de ma cuisse sans avoir même conscience de mes gestes. Je fis glisser la lame sur ma jambe dénudée, la conscience du danger absente, et, quand elle rencontra le ruban de ma jarretière, la lame coulissa sous le tissu. Elle avait été faite pour moi, destinée à finir attachée sur ma cuisse.

J'aimais la sensation de puissance que me donnait ce couteau et la pression qu'il exerçait sur mon corps à chacun de mes pas. Même si je l'avais voulu, à Eden, il aurait été impensable de se balader avec une arme mortelle sur soi. Là-bas, la vie n'était qu'harmonie et les hommes n'étaient qu'amour ou mensonge.

Lucifer avait au moins raison sur un point : en Enfer, on était libre de devenir celui qu'on était au fond de notre âme.

Mon arme n'était pas tant destinée à mon cher et tendre colocataire qu'à me donner une impression de sécurité. Je pouvais blesser Lucifer mais sa nature angélique m'empêchait de lui causer des dommages plus importants mais peut-être que les démons n'étaient pas soumis à la même règle.

Le découvrir était ma mission du jour. Après une nuit entière passée à ressasser le passé et à me souvenir avec tendresse de mes amis, il était temps de fermer la page et d'avancer. Je savais que je ne gagnerai rien à être sentimentale quand bien même ça me déchirait le cœur de me séparer du vestige du sourire de Syrielle ou du rire d'Aménadiel.

Il était là mon adieu, tapi dans ma détermination à m'assurer un futur confortable, dans ma rage à vouloir survivre, dans ma peine à laisser le passé s'éloigner de moi à chaque pas. Le futur était sans merci et le présent demandait un courage immense pour être affronté.

Je franchis la porte après avoir enfilé un manteau assez long pour cacher ma robe à volants blancs et, sans un regard en arrière, m'enfuis dans les escaliers de la tour. Je ne voulais pas voler parce que j'estimais que c'était mon devoir de souffrir pour arriver à mes fins.

LE PÉCHÉ INFERNAL | Romantasy Where stories live. Discover now