46 | LUCIFER

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L'idée m'avait paru bonne dans la folie du moment mais maintenant que je me retrouvai aux abords du Styx, je commençais sérieusement à douter de mes choix

Charon n'avait pas le sens de l'hospitalité et sa rivière aux allures de marécage ne m'aidait pas à me rassurer, moi et ma méfiance. Cependant, je savais que je ne pouvais pas me permettre de revenir auprès d'elle si je n'étais pas entier. Elle méritait de me voir véritablement, aussi bien qu'elle s'était présentée à moi. Je lui devais au moins ça.

C'était le passeur du Styx qui possédait ce petit quelque chose qui me manquait terriblement. Je le lui avais offert pour qu'il m'amène de l'autre côté de ce paradis qui, au fond, avait été mon enfer personnel. On vivait mieux entourés de monstres qu'au milieu des hypocrites qui sourient en secret de vos échecs.

J'avais tellement hâte de la revoir pour que cette colère qu'Aménadiel avait ravivé se perde à nouveau dans la passion que mon âme éprouvait pour la sienne. Elle était le médicament à ces maux du cœur qu'elle avait elle-même créé. On se faisait tellement de bien tout en se faisant trop de mal pour que cette histoire ait un quelconque sens.

Je sentis au changement dans l'atmosphère qu'il arrivait et je l'entendis avant même de le voir. Le silence siffla sous le mouvement régulier de sa rame qui entrait dans l'eau pour en ressortir aussitôt. C'était une mélodie sordide qui lui rendait parfaitement justice.

Quand la pénombre révéla Charon, je ne doutais plus. Perché sur la berge, j'attendis qu'il arrive à ma hauteur pour m'immerger dans l'eau obscure et rejoindre son embarcation à peine plus large qu'une planche de bois.

Il ressemblait à un esprit, encapuchonné dans son voile noir et, en grimpant près de lui sur la barque, j'eus soudain l'impression de revenir des millénaires en arrière. Je me revoyais jeune et naïf avec ma pièce en or et les yeux humides à implorer le Passeur de ne pas me voler quelque chose de plus. J'avais cru avoir déjà tout perdu ce jour-là et pourtant il avait réussi à me demander la seule chose que je regrettais vraiment de ne plus avoir aujourd'hui. Charon ne se tourna pas vers moi quand mon poids fit tanguer l'embarcation et il se contenta d'inverser le sens de ses rames pour repartir loin de ce rivage qu'il ne connaissait que trop bien.

Quand viendra pour vous l'heure de le rencontrer, soyez prêt à perdre la chose qui vous tient le plus à cœur. Les pièces ne suffisent pas pour trouver le repos éternel.

- Tu l'as toujours n'est-ce pas ?

Ma question resta longtemps en suspens dans la brume malodorante du Styx et d'abord, seule sa respiration me donna l'assurance qu'il était toujours à mes côtés. Il avait le don de disparaître sans prévenir, vous laissant comprendre seul que le voyage était déjà fini et que vous veniez de perdre une part de vous-même dans cette transaction malhonnête.

Les clapotis de l'eau qui filait sous nous ne parvint pas à me satisfaire. Je tournai la tête vers mon voleur et le découvris tourné vers moi, lui aussi. Il m'observait au travers de son voile sombre qui cachait ses yeux mais je sentis sa présence à l'intérieur de mon esprit car il était capable de lire en moi d'un simple souffle. Il ressemblait à un mauvais cauchemar fait de chair et d'os.

Le diable et le passeur perdus au fin fond des abysses, à la poursuite d'un cœur qui n'existait peut-être plus.

- L'as-tu regardé se consumer, se briser et renaître ? T'es tu amusé à le regarder vivre alors que je mourrais ? As-tu seulement apprécié m'avoir volé de ce que je refusais de perdre ?

Il comprit ma colère et ma déception mais ne rougit pas des reproches que je lui faisais. Il avait connu trop d'Hommes cupides et arrogants pour se sentir menacé par un roi en exil qui ne faisait que retarder le moment fatidique de son retour. C'était moi qui dirigeait aux Enfers mais au fond, c'était lui le plus sournois des serpents.

LE PÉCHÉ INFERNAL | Romantasy Donde viven las historias. Descúbrelo ahora