Chapitre 1

125 10 0
                                    

2h30

Son corps se raidit. Sa bouche et ses yeux s'ouvrent contre son gré, son corps se met à trembler, elle veut crier mais aucun son ne sort de sa bouche. Elle reste juste là, forcée à fixer le plafond en attendant de pouvoir bouger, elle baigne dans sa sueur, comme chaque soir. Comme chaque nuit, elle revit le même cauchemar qui se termine toujours de la même façon, une claque de réalité en pleine face à son réveil bien plus horrible que n'importe quel mauvais rêve. 

Alors, elle fait ce qu'elle sait faire de mieux quand le sommeil n'est plus au rendez-vous. Elle se lève péniblement du clic-clac sur lequel elle "dort" et s'en va dans la salle de bain. Un coup d'eau sur le visage, un silence de quelques secondes pour être sûre que personne n'est réveillé et une fois rassurée, elle ouvre la trappe de la baignoire, passe tout son bras sous le bain pour ressortir un sac. En sortant un grand verre et une bouteille de vodka déjà bien entamée. Comme on servirait un verre d'eau après avoir dormi la bouche ouverte, l'alcool pur est versé dans l'énorme contenant qu'elle vide ensuite d'une traite. Elle regarde la bouteille, hausse les épaules et en boit quelques gorgées directement au goulot, histoire (selon elle) de pleinement sentir la douce brûlure du liquide coulant le long de son œsophage. Sa respiration se calme, ses muscles se détendent, l'alcool a toujours cet effet là sur elle. 

Mais bien vite, elle est toujours rattrapée par une vague de honte, elle range à la hâte tout son petit matériel là où elle l'a trouvé, se brosse les dents pour essayer de cacher l'odeur puis ressort de la salle de bain comme si de rien n'était. Comme souvent, elle attrape sa plus vieille paire de baskets trouées, sa veste la plus chaude et son plus joli bonnet et la voilà prête. Elle a l'air d'une sans abri avec un tel accoutrement, mais elle ne peut se résigner à foutre à la poubelle tant de souvenirs. Elle se saisie de la laisse de son chien, et la voilà partie pour promener Maurice, le petit bouledogue français de la famille. 

Elle se promène dans les rues sombres de Toulouse, son meilleur ami à ses côtés à refaire le monde. Tentant désespérément de ne plus penser, de se changer les idées en prenant un bol d'air "frais". Mais il faut savoir une chose à propos d'elle, comme elle le dit toujours, elle a « un radar à emmerdes greffé sur le front ». Et ce soir-là, en s'aventurant un peu trop loin, elle s'est retrouvée en plein milieu d'une véritable chasse à l'homme entre gendarmes et fêtards alcoolisés sortant sans aucun doute de soirée. Ayant bu un verre (ou deux) d'alcool avant de sortir le chien la conforte dans l'idée que croiser des flics maintenant serait la pire des options pour elle.

Sans plus attendre, elle tourne ainsi les talons en tentant d'échapper au mouvement de foule qui se rapproche de plus en plus de sa personne. Prise de panique, son corps cesse tout simplement de bouger, et puis, tant pis pour elle. Elle se fait bousculer par un de ces fêtards et tombe comme une idiote sur ses fesses, manquant de peu de tomber sur une déjection canine. Elle ne comprend pas directement ce qui vient de lui arriver, un peu étourdie par la chute qu'elle vient de faire sur le goudron froid.

"- Tout va bien mademoiselle ?" Lui dit une voix féminine

Dieu seul sait comme elle déteste être appelée de la sorte, mais cette fois-ci, bizarrement, ces mots dans la bouche de la jeune femme en face d'elle ne l'ont pas dérangée. "Ce verre de vodka aura eu raison de toi Juliette, tu nages en plein délire" se dit-elle. Toujours sous le regard attentif de la jeune femme, elle cligne plusieurs fois des yeux et se pince pour reprendre ses esprits, mais anesthésiée par l'alcool bu précédemment, elle ne ressent aucune douleur même plus aucune sensation à vrai dire. La jeune femme lui tend sa douce main, elle la saisie et se relève sans même prêter attention à celle qui la ramasse.

Enfin, leurs regards se croisent, elles s'inspectent l'une l'autre. Juliette prête enfin attention à son héroïne du soir, c'est une jolie brune aux yeux si noirs qu'elle y verrait presque son reflet à l'intérieur et pourtant, il traduit une grande inquiétude. Une lèvre fendue et une trainée de sang qui s'écoule de son nez, passe par cette bouche abimée et termine sa course sur son menton. Le regard interrogateur de Juliette se pose également sur l'uniforme bleu de la jeune femme légèrement teinté de rouge sur la manche. Prise dans une telle observation, elle en aurait presque oublié qu'elle était à présent debout sur ses deux pieds et en état de tenir sans son aide, pourtant leurs mains étaient toujours entrelacées. Sans pouvoir se l'expliquer, à cette simple vision, les jambes de notre protagoniste semblent être faites de coton et à nouveau, elle manque de retomber le nez sur le goudron. Mais tout cela était bien sûr sans compter sur sa sauveuse qui vole une nouvelle fois à son secours, mettant sa seule main de libre dans le bas du dos de Juliette, la rattrapant cette fois-ci de justesse, arborant toujours son doux sourire et ce regard inquiet.

"- Vous allez bien ? Lui dit la jolie brune d'une voix rauque

- Je ... Je crois que oui, la chute a juste été un peu violente pour moi. Répond -elle en riant nerveusement gênée par la proximité de leurs visages

- Vous feriez mieux de rentrer chez vous avant que mes collègues ne vous voient et ...

- Eh Alvarez ! Tu as réussi à en attraper une ! Beau boulot ! Dit un gros agent en s'approchant des deux jeunes femmes

- Non c'est pas du tout une ...

- Allez tu en as assez fait, recule je vais lui passer les menottes."

"Super" se dit Juliette, la journée ne pouvait vraiment pas mieux commencer pour elle. Le gros énergumène attrape violemment ses poignets, passe la laisse de Maurice à sa jeune collègue toujours pleine de sang avant de plaquer Juliette contre un mur sale pour lui passer les menottes telle une criminelle. Tout cela bien sûr sous le doux regard de ladite Alvarez qui assiste à la scène, impuissante.

"- Soufflez !" Lui dit l'agent en lui collant un éthylotest froid dans la bouche

Sans se défendre, elle exécute les ordres tout en regardant en direction de sa collègue.

- "Putain ! Comment elle tient encore debout elle ? Elle a pas dû en boire qu'un seul des verres celle-là." Dit le gendarme à ses collègues à présent amassés autour de Juliette

Elle regarde l'objet, ouvre ses yeux en grand comme si elle venait de réaliser quelque chose. Elle se rend compte qu'elle a de nouveau un véritable problème avec l'alcool quand une dose de cheval ne la ferait même pas un peu flancher. Sa tête se baisse honteusement et croise rapidement le regard de la gendarme qui n'est plus empli maintenant que d'énervement.

**********************************

"Allez, levez-vous" Lui dit un grand barbu, la sortant d'un profond sommeil

Alors, encore une fois, elle s'exécute, remet ses chaussures et le suit à travers les différents couloirs qui mènent à une petite salle dans laquelle elle y retrouve sa sœur qui caresse Maurice nerveusement et 2 agents qui discutent avec elle, un air froid sur le visage. Quelques longues minutes de sermon plus tard, les voilà dans la voiture de sa sœur à présent à l'arrêt, Juliette fixant le sol honteusement et Alba comme à son habitude le regard dans le vide, sans un bruit avec comme seul fond sonore le ronflement de Maurice.

"- Tu me fait chier Juliette ! Hurle sa sœur en brisant ce pesant silence.

- Je suis désolée Alba ...

- Oh ça tu peux l'être putain ! Je commence à en avoir marre de tes foutues conneries bordel de merde ! Tu as 26 ans ! Quand est-ce que tu vas te réveiller et reprendre ta vie en main ? Tu avais arrêté de boire, tout rentrait dans l'ordre et voilà que maintenant à 3h du matin tu te retrouves avec un taux anormalement élevé d'alcool dans le sang à promener mon putain de clébard dans la rue mais qu'est ce qui tourne pas rond chez toi putain ?"

Elle a raison, qu'est-ce qui tourne pas rond chez elle ? Enfin, la question est plutôt qu'est-ce qui tourne rond chez Juliette ?

"- Tu sais très bien que je suis en deuil Alba" Dit-elle faiblement

"- Mais ça je le sais Juliette, ça j'y pense tous les putains de jours depuis maintenant 1 an. Mais si tu veux vivre ton deuil de cette manière je t'en supplie Juliette vas t'en de chez moi. Je ne pourrais pas te regarder te tuer lentement, j'ai Maël à élever et à 3 ans il n'a pas besoin de voir sa tante se détruire. Bordel où est passée ma grande sœur joyeuse et intrépide ? Regarde la coquille vide que tu es devenue Ju', tu manges à peine, Dieu sait comment tu peux encore tenir debout. Tu carbures seulement aux cafés pas chers et à l'alcool, tu n'as pas de travail, aucun but dans ta vie et à 26 ans tu squattes chez ta petite sœur de 22 piges. Bordel de merde Juliette réveille-toi il est 9h du matin tu crois pas que je devrais être à un autre endroit-là maintenant au lieu de venir chercher ma foutue grande sœur chez les flics parce que madame ne sait pas tenir en place ?!"

Son discours a l'effet d'une nouvelle claque dans la gueule, sans l'épargner une petite seconde, elle sait que ses mots ont été mûrement pesés et qu'elle les pense tous sans exception. Et malgré la brutalité de ce speech, Juliette sait qu'Alba en pense même davantage mais que celle-ci se retient de tout lui balancer pour ne pas lui infliger le coup de grâce. Malheureusement pour notre héroïne, elle a raison, elle n'est plus qu'une coquille vide, vide de bonheur, vide de sensation, vide de projet, vide de vie. 

JulietteWhere stories live. Discover now