Chapitre Trois

124 11 1
                                    

Rassembler mes affaires fut rapide. Je n'avais pas grand chose à prendre mis-à-part mes vêtements et quelques paires de chaussures. Contrairement aux autres enfants de l'orphelinat, je n'avais pas de souvenirs à garder précieusement dans une boîte en fer, cachée sous mon lit. Le seul que j'avais étant petite était ce bijou autour de mon cou, portant mon nom. Mais je m'en étais débarrassé. Pourquoi garder quelque chose qui fait du mal, chaque fois qu'on le regarde ? Contrairement à certains orphelins, je n'avais plus l'espoir ou l'envie de retrouver ma famille biologique.

Avant mon départ de l'orphelinat, j'ai revu plusieurs fois la famille Lee. On s'est promenés dans Sydney, manger des glaces, pris un repas ensemble... Ils sont tous très gentils, et n'ont pas trop insister pour me faire parler, contrairement à d'autres qui me forçaient par tous les moyens possibles. Cependant, ils m'ont beaucoup parlé. D'eux, de leur famille, de leurs amis, de leur fils qui habite à l'étranger, de leur vie... Les deux filles, Olivia et Rachael, m'ont emmené faire des boutiques. Elles m'ont demandé de choisir quelque chose qui me ferait plaisir pour me l'offrir comme cadeau de bienvenue.

- Comme on ne connaissait pas tes goûts, m'avait confié Rachael, on s'est dit que ça serait bien que tu choisisses ce que tu aimes !

Elle m'avait fait un grand sourire si gentil et bienveillant que j'avais réussi à lui sourire en retour. Un petit sourire, certes, mais un sourire quand même. J'en avais été moi-même étonnée, et je me suis mise, presque sans m'en rendre compte, à espérer et à croire que cette famille était peut-être enfin la bonne.

- Toc, toc...

Je me retournai vers la porte, pour faire face à Madame Lee.

- Tu es prête ? Me demanda-t-elle avec un sourire.

Je pris ma valise et hochai la tête, puis la suivit dans l'escalier sans un regard en arrière. La directrice me dit au revoir, et je vis que ses yeux brillaient plus que d'habitude. Si j'avais pu parler, je lui aurais dit qu'il n'y avait pas de raisons de pleurer. Après tout, rien ne m'interdisait de revenir lui passer un petit bonjour de temps en temps. Ou que je revienne pour de bon, comme cela m'était déjà arrivée il y a quelques années. Un frisson me parcourut le dos. Pendant ces moments que j'ai passé avec la famille Lee, je m'étais sans trop m'en rendre compte attachée à eux et leur ambiance touchante et bienveillante... Et s'ils me "rendait" à l'orphelinat, comme d'autres familles avant eux ? Cela ferait d'autant plus mal, puisque j'avais commencé à leur accorder une pointe de confiance. Je me détestais pour ça en y pensant. Comment est-ce que je pouvais déjà avoir de la sympathie pour des gens que je connaissais à peine ?!

Quand je passai la grille en fer forgée pour rejoindre le parking où était garée la voiture de Madame Lee, je me stoppai quelques secondes avant de franchir la ligne séparant l'orphelinat du dehors. Me détester ne servait à rien, songeais-je. Alors autant plonger la tête la première, n'est-ce pas ? Qu'avais-je à perdre que je n'avais pas déjà perdu de toute manière ? Je connaissais déjà la douleur d'être abandonné, ça ne pouvait pas être pire que la première fois !

Je fermai les yeux, serrant avec force la poignée de ma valise, adressant une prière silencieuse à quelque dieu que ce fût, qui aurait pu m'entendre à ce moment-là.

Je vous en prie, faites en sorte que cette famille soit la bonne. Que je sois enfin heureuse.

***

- Felix rentre le mois prochain ! Les filles sont en vacances pendant deux semaines à partir de demain, donc on va pouvoir se programmer des petits trucs sympa en famille, tout en te laissant le temps de t'habituer à ta nouvelle vie. Tu auras ta chambre pour toi toute seule, même si en théorie, c'est celle de Felix. Mais puisqu'il ne passe plus beaucoup de temps à la maison, on s'est dit qu'on allait te la donner. On s'organisera quand il reviendra quelques jours, voir où il dormira.

Le blabla incessant de Madame Lee me reposait. Elle parle beaucoup, et elle sourit beaucoup aussi. Je l'aime bien, me rendis-je compte.

- Je me disais qu'on pourrait communiquer sur des petits carnets, tu sais, comme au restaurant la dernière fois ? Si tu veux, bien sûr. Je comprendrais si tu as besoin de plus de temps.

J'hochai la tête. Pour répondre à leurs questions, j'avais écrit sur les serviettes en papier du restaurant. Bien sûr, c'était toujours un peu difficile car je ne savais pas comment répondre à leurs questions. À force de ne plus parler, je ne savais pas si j'en disais trop ou pas assez. Je ne voulais pas me renfermer encore plus que je ne l'étais déjà, mais j'avais dû mal à me confier.

- On a qu'à faire un saut au magasin près de chez nous ! Décida Madame Lee. Ils y vendent des jolis carnets, tu pourras choisir celui qui te plaît !

Et elle tourna à la sortie tout en fredonnant d'un air joyeux. Je l'observais à la dérobée. D'origine coréenne, comme toute la famille d'ailleurs, elle avait de jolis yeux couleur chocolat et des cheveux châtain. Son sourire illuminait son visage.

Bientôt nous arrivâmes au magasin, et Madame Lee éteignit le moteur. Je descendis, et nous entrâmes, pour nous diriger vers les fameux carnets.

- Je te laisse choisir. Me dit-elle. Je vais aller regarder s'ils ont des fruits frais, pour faire une salade pour ce soir !

Sa phrase me tordit l'estomac, tandis qu'une peur aussi irrationnelle que soudaine s'empara de mes membres, m'empêchant de réfléchir correctement. Madame Lee ne s'en aperçut pas, car elle tournait déjà les talons. J'ouvris la bouche pour la retenir, mais ma gorge se serra, et comme d'habitude, aucun mot n'en sortit. Je voyais son dos, ses cheveux bouger au gré de ses mouvements, et une image se superposa à ma vision. L'image d'une autre femme, aux cheveux bruns, s'en allant sans que je puisse rien y faire.

Les larmes aux yeux, la bouche ouverte, je la voyais s'éloigner trop rapidement.

Non.

Attends-moi.

J'aurais tellement voulu prononcer ces mots...

Frustrée, paniquée et triste, je m'accroupis sur le sol en reniflant. Mon cœur se serrait à chacun de mes sanglots. Pitié. Reviens.

Reviens.

Ne me laisse pas.

La respiration me manquait, et je suffoquais à travers mes larmes.

NE ME LAISSE PAS.

NE M'ABANDONNE PAS.

- Sae-Jin ?! Tout va bien ma chérie ?!

Une main se posa sur ma tête. Je relevai les yeux, les joues baignées de larmes salées.

Le visage flou de Madame Lee me faisait face, inquiet et surpris. En voyant mes larmes, elle poussa un "oh !" de surprise, avant de m'attirer doucement à elle. Elle me prit dans ses bras, sans me serrer, comme pour me dire qu'elle ne voulait pas me forcer. Elle me caressa les cheveux, lentement, tandis que je me calmais péniblement.

- Pardon... Pardon... Me murmura-t-elle à l'oreille. Tout va bien. Je suis là...

Ces mots ne firent qu'accentuer mes pleurs. Elle tenta de me consoler, pensant avoir empirer la situation. Ce que je ne pouvais pas lui dire, mais que je pensais très fort, c'est qu'elle avait simplement dit les mots que j'attendais depuis si longtemps. D'avoir quelqu'un à mes côtés. 

All Of My Silences Will Be Your Words [TERMINÉE][Version Fr]Where stories live. Discover now