Chapitre Seize

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Pour une fois, les mots étaient sortis d'eux-mêmes, traversant ma gorge et ma bouche avec une aisance que je n'aurais jamais cru possible. Je n'avais pas vraiment réfléchi à ce que j'allais dire, contrairement à toutes les autres fois où j'avais remué une phrase dans ma tête des dizaines de minutes en tentant de la dire à voix haute. J'avais juste entendu les filles penser que leur père se rangerait de l'avis de Madame Lee, et puisque je savais que c'était faux, je leur avais répondu... À haute voix.

Je m'étais levée à l'aube ce matin. Je n'arrivais pas à dormir. Avec Felix, on avait parlé pendant des heures, assis sur le canapé, et quand j'étais partie me coucher, j'avais réalisé ce que nous avions décidé.

J'allais partir pour la Corée avec lui le surlendemain. Et le plus étonnant, c'est que je n'avais pas peur. Moi, la fille terrifiée qui avait passé une semaine entière cachée dans la chambre de Felix à mon arrivée, j'étais prête à affronter un voyage vers un pays inconnu. J'allais devoir également affronter l'aéroport, mais je préférais ne pas y penser pour le moment.

Monsieur Lee était déjà en bas quand j'étais redescendue sur la pointe des pieds pour ne pas réveiller Felix qui dormait sur le clic-clac. J'en avais profité pour lui parler (ou écrire pour ma part) de notre projet, et avec surprise, il m'avait tout de suite donné son accord. Il me soutenait, et c'est avec un grand sourire qu'il m'avait gentiment tapoté le bras avant de repartir rassembler ses affaires pour aller travailler.

- Tu es grande, et tu as bien raison de profiter de ta jeunesse, Sae-Jin, m'avait-il affirmé avant de partir de la cuisine. Si tu te sens capable d'y aller, alors ne te retiens pas. Vas-y.

J'avais senti ma poitrine se gonfler étrangement, et un sourire s'était dessiné sur mon visage. J'avais l'impression qu'en cet instant j'aurais pu affronter tout et n'importe quoi. Et quelques heures après, quand j'étais redescendue dans la salle à manger une nouvelle fois, j'avais entendu la conversation entre Felix, Madame Lee, Olivia et Rachael. La même sensation étrange était revenue quand les filles avaient parlé de moi. Aussi idiot que cela puisse paraître, j'ai compris que c'était ma confiance en moi, que je ressentais. Les gens que je pouvais aujourd'hui appeler "ma famille" me faisaient confiance, et à travers eux, je ressentais cette même émotion que j'avais oublié en chemin. Depuis combien de temps n'avais-je pas ressentis cela ?

Était-ce pour ça que j'avais parlé, si soudainement, sans que je m'en rende vraiment compte ? En tout cas, c'est ce que je voulais croire. Felix et les autres étaient si surpris qu'ils ne comprirent pas de suite que c'était moi qui parlait dans une autre pièce que la leur. Puis Felix tourna enfin son regard dans ma direction. Je sentis mes joues me brûler, et lui fit un petit coucou de la main, mal à l'aise que tout le monde me regarde soudainement. Je savais bien que je venais de franchir un cap. Un gros cap, même. Et je voyais bien que Lix se disait la même chose, vu le regard d'admiration, d'étonnement et de joie qu'il me lançait.

- Oh Sae-Jiiiiiin !! S'exclama d'un coup Olivia en venant se jeter sur moi.

Elle m'écrasait plus qu'elle ne me faisait un câlin, mais je ne pus m'empêcher de sourire tandis que les autres nous rejoignaient.

- Je suis tellement contente pour toi ! Me dit-elle joyeusement.

- Liv' laisse-la respirer ! Grommela Rachael en tentant de me sauver.

Je ris pendant qu'Olivia s'écartait en tirant la langue à sa sœur. Cette dernière fit semblant de n'avoir rien vu et vint à son tour me prendre dans ses bras, mais moins brusquement. Madame Lee se joignit à notre câlin, en reniflant discrètement. Personne ne fit de commentaires, mais tout le monde avait compris qu'elle se retenait de pleurer ; cela me fait d'autant plus chaud au cœur, car même si je savais déjà qu'elle avait été la première à vouloir adopter un ou une orpheline, sa réaction me touchait beaucoup. Même si je l'appelais encore "Madame Lee" ou "Lina" de temps en temps, elle comptait beaucoup à mes yeux : après tout, n'avait-elle pas été la première à me tendre la main, quand j'avais été prise de panique dans le magasin, lors de notre sortie de l'orphelinat ?

Lorsqu'elles s'écartèrent, je leur fis un grand sourire, pour les remercier. Je fus tenté d'ouvrir la bouche pour leur dire "merci" mais je me retins. Et si je n'y arrivais pas ? J'avais peur d'être déçue et de ne...

- Vas-y à ton rythme, Sae, plaisanta Felix, la gorge serrée par l'émotion, en s'approchant à son tour. C'est normal que tu ne nous fasse pas de grands discours d'entrée de jeu.

Ses sœurs acquiescèrent et commencèrent à papoter joyeusement, incluant leur mère pour lui redonner le sourire. Felix profita que l'attention n'était plus tourné sur moi pour me sourire en me prenant dans ses bras. Je sentis son shampoing quand je posai ma tête sur sa poitrine en entourant mes bras autour de son cou.

- Je m'y attendais tellement pas, souffla-t-il à mon oreille. Je... Je crois qu'aucun mot n'est assez bien pour te décrire ce que je ressens, ajouta-t-il en riant.

Je le serrai un peu plus fort en fermant les yeux pour me concentrer sur lui et seulement sur lui.

Je sentais ses battements de cœur, lents et réguliers, apaisants. Je me calai presque instinctivement sur sa propre respiration, sentant mes propres battements de cœur ralentir doucement. C'était comme lors de la fête foraine, sur le banc. Mes pensées et mon cerveau avaient arrêté de tourner en boucle, incessants et fatigants. Je me sentais juste bien. À ma place. Apaisée. Comme s'il avait appuyé sur le bouton stop, par une simple étreinte ou un baiser. Est-ce que c'est ça... L'amour ?

***

Pour sa dernière journée avec sa famille, Felix voulait faire quelque chose, histoire de marquer le coup avant de partir. Après avoir fait ses bagages, il redescendit donc dans la salle à manger, décidé à proposer une sortie à sa famille.

Sauf qu'apparemment, ses sœurs et sa mère avaient déjà trouvé une activité pour Sae-Jin. Assises à la grande table de la salle à manger, elles lui apprenaient... Le coréen. Détail que Felix avait complètement oublié.

- Oh pardon Sae ! S'écria-t-il en dévalant les dernières marches de l'escalier. Ça m'était complètement sorti de la tête !

- Si t'es si désolée que ça, vient donc nous aider ; c'est toi le plus calé sur le sujet de nous toutes. Commenta Rachael en tirant une chaise à côté d'elle pour l'inviter à s'asseoir.

- Avec plaisir !

Il eut à peine le temps de poser ses fesses sur la chaise que Sae poussa vers lui son carnet.

En combien de temps tu as appris le coréen ?

- Euuuuh... Je sais plus trop... J'ai appris au fur et à mesure, mais je dirais que je commençais à vraiment être à l'aise après, environ, un an je dirais ? Tenta-t-il en essayant de se souvenir de ses premières années en Corée.

Vu la tête désespérée de Sae, un an lui semblait beaucoup trop long à son goût, et elle s'en tapa la tête avec son carnet. 

All Of My Silences Will Be Your Words [TERMINÉE][Version Fr]Where stories live. Discover now